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Association Française Janusz Korczak (AFJK)

L’implication des enfants dans la vie sociale, un puissant facteur d’intégration

Sommaire

Introduction - 1. Présentation du GPAS - 2. Contexte national et culturel de l’action éducative en Pologne - 3. La pédagogie de rue : un outil primaire du travail de prévention - 4. Exemple de formation des enfants à la coopération et à la démocratie.

Introduction

Le travail avec les enfants et les adolescents, qui s’effectue en milieu ouvert avec l’aide d’équipes de professionnels et de volontaires stables, a naturellement comme objectif l’implication et la participation des enfants à la vie sociale et publique. Ce mode de travail constitue une réponse aux difficultés des structures éducatives en France à contacter et fidéliser l’ensemble des enfants habitant un territoire. C’est aussi une solution au dilemme des décideurs de la Ville concernant l’absence ou la trop grande rareté d’espaces éducatifs intermédiaires pouvant intégrer les enfants de la Cité.

Le grand atout de ces pratiques est qu’elles favorisent la reconnaissance et la construction des compétences participatives d’enfants exposés à des situations particulières (enfants vivant dans des conditions économiques, sociales ou familiales difficiles, etc.) et renforcent de façon déterminante leurs capacités à élaborer entre eux, avec les adultes et avec d’autres enfants leurs propres projets d’intégration et d’émancipation.

Différentes associations en France mettent en œuvre des actions innovantes sur ces questions, parmi lesquelles on peut citer l’Association Intermèdes-Robinson, les Alouettes, l’Association TRACES.

Cette forme de travail se développe aussi à l’étranger, notamment en Pologne. Afin de mieux étudier les conditions du travail préventif de rue, et la façon dont les professionnels socio-éducatifs travaillent en Pologne, j’ai choisi de prendre l’exemple du Groupe de Pédagogie et d’Animation Sociale GPAS, une ONG française implantée en Pologne, dont les activités mettent particulièrement en valeur, me semble-t-il, l’implication et la participation des enfants à la vie sociale et publique.

1. Présentation du GPAS : activités, méthodologie et références théoriques et pratiques

Le GPAS est une organisation non gouvernementale qui travaille depuis 1980 avec les enfants dans la rue en France et depuis 1990 en Pologne. L’association mène de multiples actions avec les enfants dans la rue dans de grandes villes polonaises, en particulier à Gliwice, Zabrze, Cracovie, Varsovie et Lodz. Elle a publié en 2006 un guide méthodologique réalisé dans le cadre du programme européen Daphné.[1]

Le GPAS fait référence dans sa méthodologie à des théories de pratiques sociales puisées dans l’œuvre de Janusz Korczak (1878 – 1942), éminent pédagogue polonais connu dans le monde entier, inspirateur, par sa pédagogie de la responsabilisation, de la Convention Internationale des droits de l’enfant.

Au début du XXe siècle, Korczak a observé, en tant que médecin et pédiatre, les comportements des enfants en risque de marginalisation et a créé dans cette dynamique deux foyers éducatifs organisés en républiques d’enfants (avec leur parlement et leur tribunal des enfants). Korczak a œuvré toute sa vie pour une refonte complète de l’éducation fondée sur la reconnaissance des droits de l’enfant. Son journal d’enfants, ses émissions de radio, l’élaboration des droits inaliénables de l’enfant, tel le droit à l’amour et au respect, font de lui un précurseur de la pédagogie institutionnelle et de l’autogestion pédagogique.

Ses multiples écrits pour les enfants et pour les adultes (Comment aimer un enfant en 1919, Le roi Mathias Premier en 1920) témoignent toujours pour les générations à venir de l’importance de son œuvre. Je suis très attachée à ce personnage, au point d’être devenue aussi membre de l’Association Française Janusz Korczak (AFJK).

À l’époque communiste, en Pologne, la figure de Korczak n’a pas été reconnue par les acteurs socio-éducatifs ni encore moins par les décideurs politiques. Ceci résulte, entre autres motifs, du cadrage politique qui percevait l’enfant uniquement dans le cadre collectif et pas sur le plan individuel. Pourtant, les idées de Korczak n’ont pas été oubliées, ses travaux théoriques et pratiques ont été sauvegardés et répandus par différentes organisations qui se reconnaissent aujourd’hui dans le mouvement Korczak international. En revanche, la pleine mise en pratique des idées de Korczak n’a pu se faire en Pologne qu’à partir des années quatre-vingt-dix.

2. Contexte national et culturel de l’action éducative en Pologne

Le travail éducatif polonais s’inscrit dans un cadre éducatif, historique et politique particulier. La Pologne connaît aujourd’hui différents phénomènes qu’il importe de connaître afin de mieux comprendre la situation des professionnels socio-éducatifs.

  1. Sur le plan d’urbanisme, la Pologne fait actuellement un chemin inverse à celui de la France qui s’engage dans une forme de « dé-ghettoïsation » des banlieues avec une volonté de dissémination des populations pauvres. La tendance actuelle polonaise se définit autrement, par la diminution de la pauvreté et son regroupement dans des zones de relégation, par le mécanisme de la pression foncière. Cette approche peut paradoxalement avoir des effets positifs secondaires, notamment en donnant la possibilité de mieux identifier le public des enfants en risque de marginalisation et de proposer en conséquence, avec le soutien financier des autorités locales, des activités adaptées à ce groupe.
  2. En Pologne, il est important de noter la faiblesse de la vie associative et de l’éducation populaire dans les quartiers populaires face à la forte position des associations et des O.N.G. en France. La création des premières associations remonte aux débuts des années quatre-vingt-dix, après la chute du système communiste en 1989. Faibles en nombre, elles font aujourd’hui face aux problèmes de manque de financement. Il est encore trop tôt pour dire si leur position va se développer dans les années à venir, mais leur rôle actuel n’est pas très déterminant dans les domaines social et éducatif. Pour l’éducation populaire, les Polonais ont de grandes traditions qui proviennent de l’époque communiste, mais aujourd’hui les activités issues de ce domaine sont très rares.

3. La pédagogie de rue : un outil primaire du travail de prévention

La politique du GPAS définit clairement les finalités d’actions éducatives et la modalité de participation de l’enfant. Le point de départ de l’O.N.G. se base sur la conviction que les enfants qui échappent à l’influence de la famille ou l’école doivent pouvoir trouver une alternative aux ateliers proposés par les institutions traditionnelles comme les centres de loisirs ou les foyers sociaux.

La pédagogie de rue offre une solution pour ces enfants. Sa mise en œuvre exprime un regard critique sur le monde extérieur qui devra constituer la base éducative des citoyens. En second point, cette optique développe le concept de « l’enfant acteur » de sa vie familiale, de son parcours éducatif et scolaire, de sa ville, de sa protection et sa propre émancipation.

La pédagogie de rue permet également d’attribuer aux adultes une posture de responsabilité et de garantir à l’enfant un accueil adapté, individuel et collectif : contexte institutionnel et juridique, adhésion familiale, climat pédagogique, apports de connaissances et partage d’informations, encouragement et accompagnement de son expression, etc.

Les techniques du GPAS utilisées dans le travail quotidien par les pédagogues de rue sont diverses : observation participante permettant de faire le diagnostic de la situation individuelle de l’enfant ; approche éthnoclinique et éthnométhodologique qui facilite la définition de la posture d’éducateur de rue ; enfin pédagogie sociale et méthodologie du projet qui constituent la base des méthodes de travail.

Dans la pratique, il s’agit de créer les conditions d’une médiation pour que l’enfant puisse sortir de l’enfermement et pour qu’il puisse se projeter dans l’avenir. C’est aussi une démarche où l’on facilitera pour les enfants et les habitants d’un quartier la prise d’initiatives concernant l’amélioration de leur vie quotidienne.

Les bases générales des activités proposées par l’O.N.G. sont simples : sortir les enfants de leurs quartiers habituels de vie pour leur en faire découvrir d’autres ; donner de l’impulsion aux projets des enfants ; dépasser le stade de simple « consommation » des activités pour faire des enfants de véritables acteurs de leur ville et de la société. La valorisation du travail démocratique des enfants se fait à travers de multiples partenariats locaux avec le monde associatif, culturel, sportif. Cela permet aussi d’impliquer les familles des enfants.

4. Exemple de formation des enfants à la coopération et à la démocratie

Le GPAS Praga Polnoc de Varsovie a réalisé un projet intitulé « Autre Regard » sous-titré « Regarde ce qu’ils ont encore fait ». Au départ, un groupe d’enfants a eu l’idée de réaliser un petit projet photographique qui consistait à photographier leur quartier. Tomasz Szczepanski, leur éducateur de rue, a soumis aux enfants l’idée de partir dans un endroit inconnu, à la campagne, dans un petit village à proximité de Kielce où se trouvait une ancienne ferme d’État, ce que l’on appelait autrefois les PGR [Panstwowe Gospodarstwa Rolne][2]. Son idée était de leur permettre de voir d’autres enfants du même âge qui grandissent dans une pauvreté souvent plus grande que la leur, et qui, de plus travaillent et aident leurs parents.

Un groupe de soutien informel (quelques hommes d’affaires, directeurs de sociétés de publicité et de conseils en relations publiques) a aidé les enfants à trouver des sponsors et des partenaires (une entreprise a ainsi donné 20 appareils photo). Un groupe de six enfants de Praga est donc parti dans ce village durant l’été. Chaque enfant avait été équipé d’un appareil photo et pouvait prendre autant de photos qu’il voulait, et personne n’imposait aux enfants les sujets de leurs photos. Pendant une semaine, les enfants ont fait 1 000 photos. Durant leur séjour, ils ont fait connaissance avec les enfants d’un orphelinat familial voisin.

À leur retour, l’idée est venue d’inviter les jeunes orphelins à Varsovie pour qu’ils puissent eux photographier une grande ville à travers leur propre regard. Ce serait le tout premier séjour de ces enfants dans la capitale. C’est ainsi que durant 5 jours en septembre, les enfants de Varsovie ont accueilli leurs camarades de Kielce et leur ont fait visiter la ville. Pendant ce séjour 1 000 nouvelles photos ont été prises.

Le résultat : les enfants de la ville ont immortalisé la campagne à travers leur regard, tandis que les enfants de la campagne ont immortalisé la ville ; au final, plus de 2 000 photos ont été créées. Un jury de photographes et reporters célèbres a choisi avec les enfants les 30 meilleures photos qui ont été exposées en novembre à la gare centrale de Wilenski sur l’un des quais. L’exposition a duré trois semaines et a eu beaucoup de succès. Elle est partie ensuite en tournée dans les régions. À la fin, une vente aux enchères d’art moderne sur Internet a permis de vendre quelques-unes des photos.

Cet exemple montre bien qu’il est possible de faire participer des enfants au fonctionnement – voire à l’organisation — des activités qui sont leurs proposées. Les enfants ont partagé le pouvoir de la décision avec l’éducateur, notamment l’idée de projet photographique, et aussi la mise en œuvre de cette décision. Leurs capacités artistiques ont été valorisées par l’exposition des photos dans un endroit public. Cette démarche présente la façon dont les enfants peuvent être accompagnés dans l’apprentissage et l’exercice de leur droit d’expression (cf. article 12 de la CIDE).

De nombreux projets du GPAS continuent de voir le jour. Tous s’appuient sur la vie sociale de l’enfant de la rue, en tentant de créer les conditions favorables nécessaires pour sortir l’enfant de son milieu, les aidant à poser des actes citoyens reconnus comme tels. Il s’agit là d’une véritable éducation des enfants à la diversité et d’une préparation à assumer les responsabilités de la vie dans une société démocratique.

Ewelina Cazottes, 22 novembre 2008,
Intervention à la 8e Journée d’étude de DEI-France.

 

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[1] CUEFF Daniel (sous la dir.) (2006), L’enfant dans la rue. Lutte contre les violences envers les enfants des rues, édit. Daphnée, projet européen.

[2] Les PGR [Panstwowe Gospodartwa Rolne], créées par l’État en 1949, étaient des regroupements agricoles. Nombreuses à l’époque communiste, elles étaient souvent mal gérées et rarement rentables. Leur disparition date de 1991, suite au changement politique et à la chute de communisme. Difficile à restructurer, actuellement, les zones des anciens PGR constituent des endroits de fort chômage.

 

 

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Pour citer cet article

CAZOTTES, Ewelina : « L’implication des enfants dans la vie sociale, un puissant facteur d’intégration », intervention à la 8e Journée d’étude de DEI-France, 22 nov. 2008, 4 p. ; Journal du Droit des jeunes n° 282 février 2009, p. 31 ; 4 p. [en ligne sur korczak.fr]

https://korczak.fr © Ass. Frse J. Korczak (AFJK), Paris
(Mis en ligne le 16 juin 2009 ; revu le 30/09/2009)