Association Française Janusz Korczak (AFJK)
Interview de Marta Ciesielska
après la visite du Commissaire Hammarberg
Après la visite à Varsovie du Commissaire Hammarberg et son hommage appuyé à l'œuvre de Janusz Korczak, nous avons voulu connaître l'avis de Marta Ciesielska, qui était présente à la cérémonie en tant que directrice du Centre de recherche et de documentation internationale sur Janusz Korczak « KORCZAKIANUM » à Varsovie. Elle nous livre ici ses réflexions en toute franchise.
Mots-clés : Hammarberg, droits de l'enfant, Korczakianum, Dom Sierot, influence des idées novatrices de Korczak, Autorités polonaises, société civile polonaise, Varsovie, appel pour les autres pays, peu d'effets en Pologne, peu médiatisé, initiatives du mouvement Korczak, projets korczakiens, action durable préférable aux discours, éducation populaire, héritiers de Korczak.
- AFJK : Nous aimerions en savoir plus sur la visite du Commissaire aux droits de l’homme Hammarberg à Varsovie. Quelles sont vos réactions en tant que spécialiste polonaise de l’œuvre de Korczak ?
- Marta Ciesielska : Peut être suis-je trop exigeante, mais il est clair pour moi que ce type d’événement n’est pas organisé pour ceux qui connaissent bien Janusz Korczak. L’évocation de son œuvre, par exemple, est restée très imprécise. Mais le discours du Commissaire Hammarberg à Dom Sierot [La Maison des orphelins, l'orphelinat historique n° 1] était plus concentré sur les droits de l’Enfant que sur Korczak. Korczak est effectivement un mot-clé pour discuter des enfants et de leurs droits.
- Quelle a été la participation des autorités officielles polonaises ? Est-ce que vous croyez que ce type d’événement peut les amener à encourager la diffusion de la pensée de Korczak en Pologne ?
- Il y avait une centaine de personnes présentes à la cérémonie. J’ai reconnu plusieurs personnes qui s’intéressent déjà à Korczak parmi les animateurs actifs des droits de l’homme, des droits de l’enfant ou simplement dans l’action sociale. Concernant, les politiciens et les représentants des institutions publiques, je crois qu’ils étaient assez nombreux. Par contre, on a observé qu’il n’y avait personne du ministère de l’Éducation mais il faut se rendre compte qu’on était juste après les élections dans la période de la constitution du nouveau gouvernement et du début de leur prise de fonction pour certains.
- Vous vous demandez si la présence des politiciens est un signe d’une volonté politique pour Korczak ? Oui, je crois bien. D’abord, concernant les représentants du Président de République qui étaient présents pendant la visite du Commissaire, je trouve qu’ils sont bien conscients que Korczak est devenu l’un des personnages importants pour l’image de la Pologne au plan international. C’est la raison pour laquelle les associations Korczak [polonaises, nationales et en province] sont appréciées par les autorités nationales.
- Concernant, les autorités de la ville (la mairie, etc.), je vois deux grandes tendances actuellement. D’abord, on fait de plus en plus activités pour valoriser en général la culture et l’histoire juive. Cela se fait dans la perspective de chercher les racines multiculturelles de la ville. Et puis, on prend de plus en plus conscience de l’importance de l’éducation pour traiter les différents problèmes liés à l’enfance et la jeunesse. Korczak est vu au travers de cette perspective. Les autorités sont d’accord pour soutenir les initiatives proposées par les ONG liés à Korczak.
- Comment vous estimez l’impact de cet événement dans les médias et à la télévision ?
- Je trouve qu’il n’y avait pas beaucoup de journalistes présents au cours de la visite du Commissaire. Peut-être, quelques médias locaux. La visite du Commissaire n’a pas été médiatisée, ou en tout cas je n’ai pas vu de grandes réactions. Cependant, à mon avis, ce n’est pas seulement le problème habituel des événements éducatifs en général, mais celui de la priorité accordée actuellement à la couverture des événements politiques. Avec l’élection du nouveau gouvernement et avant une compagnie électorale, toutes les autres informations sont reléguées à la deuxième place. Toutefois, je n’ai pas vu toutes les informations du 20 novembre, et il est possible que la visite du Commissaire ait été relayée sur certaines chaînes.
- D’autres réunions ou rendez-vous ont-ils été prévus ?
- Non, je ne crois pas que cette visite marquera un changement dans les relations entre le Commissaire et le milieu korczakien polonais ou avec les autorités sur Korczak ou les droits de l’enfant. Mais cela n’était pas le but. Je pense que l’intention du Commissaire était plutôt de populariser la pensée de Korczak dans les pays européens. Il a commencé son voyage symboliquement en Pologne pour montrer l’importance qu’il attache à Korczak pour la défense des droits de l’enfant.
- Pour ma part, j’ai discuté avec le Commissaire de la possibilité de publier les ouvrages de Korczak en anglais avec le parrainage du Commissaire ou le Conseil de l’Europe. On va voir si cela sera possible.
- Pour terminer, pensez-vous que cette visite va avoir des conséquences importantes ? Les organisateurs et les personnes ayant participé à la visite du Commissaire ont-ils apprécié l’importance de cet événement ?
- À mon avis, cette visite peut être un bon début pour mettre en place des initiatives du milieu korczakien. Par les associations Korczak étrangères par exemple, dans les pays où Korczak n’est pas aussi connu comme en Pologne.
- D’autre part, il faut souligner que si les organisateurs n’ont pas fait de très grands efforts pour appuyer cette visite, c’est pareil pour le Commissaire. Sur son site Internet, on ne trouve pas de grands articles sur cette réunion. Elle est présentée comme l’une de ses activités parmi les nombreuses autres qu’il entreprend[1]. Permettez-moi d’insister, mais c’est important de répéter que ne sont pas les discours — même comme celui-là — qui vont changer la réalité, mais les activités régulières et l’éducation permanente.
Interview par téléphone le 30 novembre
Propos recueillis et traduits du polonais par Ewelina Cazottes © AFJK
2007.
Notes
[1] Si l'observation est juste, on peut dire a contrario qu'il est déjà fort remarquable que les idées de Janusz Korczak soient aussi largement reprises, citées et assumées sur autant de pages, et d'une manière aussi officielle, dans les murs du Conseil de l'Europe. En fait, nous pensons au contraire, que si l'action doit primer sur les discours, un grand pas a été fait à Varsovie le 20 novembre 2007 pour réclamer et expliquer les droits actifs (d'expression et de participation) des enfants.
De fait, parmi les « héritiers » de Korczak, ceux qui s'étaient mobilisés sans rien connaître des droits de l'enfant, par devoir de mémoire le plus souvent ou bien beaucoup plus rarement dans une démarche purement scientifique, devront peut-être accepter que la reconnaissance de son œuvre encore largement méconnue soit proportionnelle à la reconnaissance et à la mise en application concrète de cette Convention internationale des droits de l'enfant s'imposant aux États et aux institutions qu'il appelait de ses vœux, avec l'évolution des mentalités et des pratiques qu'elle amènera.
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Retrouvez Marta Ciesielska
- Ciesielska Marta : « Histoire du centre de documentation international de KORCZAKIANUM à Varsovie », invitée du colloque « Janusz Korczak et la réforme de l’éducation » co-organisé par l'AFJK et l’Université Paris 8 Saint-Denis, du 23 au 27 juin 2003.
- Ciesielska Marta : Janusz Korczak DZIELA, Tome VII, note philologique pp. 507-510, Varsovie 1993, traduction inédite par l’Association française Janusz Korczak (AFJK) : « Le droit de l’enfant au respect. Genèse d’un texte fondateur ».
- Histoire de la publication du manifeste de Korczak en faveur des droits de l'enfant dans le contexte social et politique de son époque, en 1928 et 1929.