Association Française Janusz Korczak (AFJK)
NASH DOM, la colonie de vacances
korczakienne russo-hollandaise
Théo Cappon est le président de l'Association Janusz Korczak des Pays-Bas. Parlant le russe, il s'était intéressé dès le début à une colonie de vacances créée en 1991 sur un projet pédagogique korczakien sur les bords de la mer noire au moment de la fondation de l'Association Korczak de Russie. Dans l’enthousiasme qui les avait réunis, les étudiants korczakiens russes et leurs enseignants, nombreux et issus de villes parfois très éloignées, avaient voulu s'investir régulièrement dans un champ d'application collectif et partagé qui serait directement utile à des enfants.
Quelques années plus tard, c'est un véritable partenariat qui s'est mis en place autour de ce projet entre les deux pays, en faisant le pari de l'intégration : intégration entre enfants russes et néerlandais, entre enfants handicapés et enfants en bonne santé des deux pays, d'origines sociologiques et religieuses les plus diverses et enfin entre grands et petits, de 7 à 17 ans.
C'est l'histoire exemplaire de cette colonie de vacances différente, encore unique dans le mouvement Korczak international, que nous découvrons ici.
Mots-clés : Colonie de vacances korczakienne, partenariat, mobilisation des étudiants, implication des professeurs d'université en Sciences de l'éducation, cogestion, autonomisation et partage, réunions de bougies, recrutement des animateurs, organisation korczakienne, évaluations.
L’origine du projet
- AFJK : Nous aimerions en savoir plus sur le camp d’été de Janusz Korczak que vous organisez depuis 14 ans. Tout d’abord, quelle était l’idée de départ ?
- Théo Cappon : L’idée d’organiser le camp d’été Nash Dom vient de l’Association de Janusz Korczak de Russie. Celle-ci, créée en 1991, après la chute de l'Union Soviétique, a organisé en 1992 un grand colloque fondateur à Moscou à laquelle ont participé des intervenants de différents pays. C’est pendant cette conférence que l’association russe a parlée pour la première fois du camp. Tout particulièrement, Irina Demakova, à Moscou, qui a mis en œuvre tout le projet. Elle souhaitait faire venir au camp des enfants avec tous types de handicaps, surtout des enfants aveugles, sourds et handicapés physiques. Après avoir écouté son intervention sur le projet, je suis entré en contact avec elle, et par la suite, j'ai été invité à participer à ce camp d'été. Il s’est très bien passé. De fait, j’ai bien aimé le fonctionnement et l’organisation du camp, notamment la mise en pratique de règles korczakiennes. J’ai pu en discuter longuement avec les organisateurs. Ils m’ont expliqué que pour le cadre théorique, ils s'étaient basés sur l’expérience de Korczak dans ses colonies de vacances alors qu'il était un jeune médecin.
- Comment l'Association Janusz Korczak des Pays-Bas est-elle entrée dans le projet ?
- À mon retour du camp d'été en Russie, j’ai pris la décision, en tant que président de l’Association de Janusz Korczak des Pays-Bas, de lancer un partenariat avec l’association russe. Apparemment, c'était une bonne décision, puisque juste après j’ai reçu une lettre de l’association russe m'informant de l'abandon du projet en raison du manque de financements. J’ai décidé alors d’agir immédiatement et de trouver les moyens financiers nécessaires. Nous avons, au nom de notre association, sollicité divers organismes et nous y sommes parvenus. En 1994, nous sommes donc venus au camp pour la première fois avec des enfants et des jeunes des Pays-Bas. L’année suivante, nous avons officialisé notre coopération avec la création d’une représentation de Nash Dom aux Pays-Bas responsable chaque année de l’organisation du camp.
- Plus précisément, en termes de moyens financiers, qu’est-ce que cela veut dire ?
- Nous avons ouvert un compte bancaire aux Pays-Bas spécialement réservé au projet. Pour vous donner une idée concernant le financement du camp, je peux vous dire que les Pays-Bas financent 70 % du projet, la Russie contribuant à hauteur de 30 %. Ceci est lié aussi au fait qu’au début du projet, les parents des enfants russes ne pouvaient payer que des sommes symboliques. C’est pourquoi j’ai décidé de participer tous les ans au camp d’été korczakien en tant que coordinateur du groupe des stagiaires, c’est-à-dire des personnes âgées de plus de 17 ans qui viennent depuis 5 ans au camp.
L'organisation
- Est-ce que vous pourriez décrire les modes de fonctionnement du camp ?
- Le camp d’été dure trois semaines. D’abord, quelques leaders de groupes arrivent deux jours avant le début du camp, le reste arrive le jour même. Concernant le transport, nous louons deux wagons de train pour un groupe de 120 personnes. Pour arriver sur place, il faut compter une nuit de voyage. La longueur du trajet permet aux jeunes de commencer à faire connaissance dans le train. Mais je dois vous dire que le problème récurrent que nous rencontrons tous les ans est celui du recrutement des bénévoles, ceux que nous appelons les leaders de groupes, qui sont chargés de l'encadrement des groupes d'enfants. En fait, c'est difficile seulement du côté de nos partenaires russes. Aux Pays-Bas, nous arrivons à en trouver mais c'est plus compliqué en Russie car les jeunes ont beaucoup plus de difficultés à trouver un travail et l’idée de bénévolat n’est pas aussi populaire.
- Comment faites-vous pour résoudre ce problème ?
- Nous sollicitons les professeurs d’université en Russie, en suivant l'exemple d'Irina Demakova qui avait ouvert la voie. En fait, c’est elle qui avait rendu possible le projet du camp d’été Korczak en y intéressant les étudiants de sa faculté et en les invitant à y participer en tant que bénévoles. Depuis quelques années, elle est détachée de son poste de professeur [chargée de mission], et du coup elle ne travaille plus avec les étudiants. C’est pourquoi, entre autres, nous avons eu du mal à trouver des jeunes Russes pour notre projet. La situation a changé l’année dernière avec le renfort d'une autre professeure de Kazan[1], Roza Valeyeva, la nouvelle présidente des associations Korczak russes. C'est une personne très dynamique, qui s’est intéressée à notre projet. Elle a eu l'idée de créer à Kazan une association Korczak universitaire avec les étudiants en Sciences de l'éducation dès leur première année. Actuellement, ces étudiants sont déjà impliqués depuis 4 ou 5 ans dans un soutien actif aux enfants de deux orphelinats [cf. le compte rendu de B. Lathuillère]. Cette année, ils participent au camp d’été.
Le financement
- Quel est le budget du camp ?
- En 2006, le camp nous a coûté 55 000 euros. Dans ce prix, on compte qu'un enfant coûte 350 euros. C'est le prix d'inscription fixé pour les enfants russes. Pour les enfants hollandais, il faut ajouter les frais de transport (l'avion, le train), soit un total de 700 euros par enfant. Les animateurs et les stagiaires payent une participation réduite de 200 euros pour leur frais de séjour et de transport.
- Mais les coûts augmentent chaque année. Ceci est le résultat de plusieurs facteurs. D'abord, quand nous avons commencé à organiser le camp d'été, il y avait beaucoup des bâtiments abandonnés au sud de la Russie, et il était facile pour nous de trouver un local à un faible prix. Maintenant, louer un local est de plus en plus cher. Ensuite, si au départ les parents n'avaient pas assez d'argent pour envoyer leurs enfants en colonie de vacances, maintenant cela a changé : les parents gagnent mieux leur vie et ont plus de facilités à offrir des vacances à leurs enfants. Ceci fait qu'on trouve aujourd'hui en Russie une offre de séjours de vacances d'été bien plus grande et plus chère qu'avant, d'autant que les gens se sont rendus compte que l'organisation de camps d'été pouvait devenir une source de profits. Ces deux facteurs ont fait que nos frais d'organisation ont beaucoup augmenté ces dernières années. Pour répondre à cette situation, nous n'avons pas d'autre choix que de faire avec. Nous ne voulons pas faire une colonie de vacances qui ne serait accessible qu'aux enfants riches. Pour respecter notre ambition, nous sommes donc obligés de trouver plus de moyens financiers.
- Alors cette année, comment vous allez faire ?
- Nous avons trouvé aux Pays-Bas environ 30 000 euros de subventions. C'est un peu moins que l'année dernière. Cette difficulté est liée à une situation particulière, plusieurs organismes qui avaient l'habitude de nous financer nous ont expliqué qu'ils ne pouvaient plus continuer. En effet, ils peuvent soutenir certains projets mais sur une durée limitée qui ne peut excéder plus de 4 ou 5 ans. Il leur faut marquer une pause, quitte à revenir à notre demande l'année prochaine ou dans deux ans. Cela signifie que nos amis russes vont être obligés de trouver plus de moyens que d'habitude. C'est peut-être possible avec des personnes comme Irina Demakova, qui a déjà réussi à trouver un bon sponsor dans une Maison d'édition.
Le fonctionnement korczakien
- Maintenant, une question concernant les aspects korczakiens du camp d’été : qu’est-ce qui fait que le camp est korczakien ?
- D’abord, je voudrais commencer par dire que tous les enfants russes ont des grandes vacances d'été et que la plupart d’entre eux vont en colonies de vacances. Prenant cette réalité en compte, nous avons pu constater quelques différences essentielles entre notre camp et les autres.
- Premièrement, dans notre camp le programme d’activités est adapté aux désirs personnels des enfants, tandis que dans les camps « classiques » c’est le directeur qui organise le programme. Cette différence est liée au fait que nous recevons les enfants issus de familles ayant des problèmes de violence, d’alcool, d'orphelins, mais ce n’est pas seulement l’origine des enfants qui l'explique. En fait, pour nous le programme est moins important que l’enfant lui-même. C’est pourquoi le programme est vraiment adapté aux attentes des vacanciers.
- De plus, nous nous appuyons aussi sur l’exigence de Korczak de toujours observer l’enfant et d'en tirer des leçons. Ceci explique que toutes les activités sont organisées par ou avec les enfants. Pour comparer, le fonctionnement dans les autres camps se déroule de façon beaucoup plus militaire et les enfants n’ont pas le droit d'exprimer leurs opinions.
- L’autre caractéristique korczakienne concerne la façon selon laquelle les enfants handicapés sont traités en Russie. En effet, les personnes handicapées sont marginalisées voire rejetées par la société russe. C’est pour cela que chez nous nous accordons une grande importance à la mixité dans les groupes des enfants voyants avec leurs pairs aveugles.
- Au sein de leur groupe « familles »[2], les enfants font tout ensemble, ce qui est très enrichissant pour tout le monde. Par exemple, au début du camp, ils doivent s'organiser pour accompagner à la cantine leurs pairs aveugles. Au bout de deux jours, les enfants aveugles savent comment le faire eux-mêmes.
- Un autre aspect korczakien est la grande responsabilité que l’on accorde aux enfants. En effet, même les petits enfants peuvent avoir de bonnes idées à proposer. Je me souviens d’une petite fille de huit ans à laquelle nous avions demandé de nous présenter une activité qu’elle savait faire et qui pouvait intéresser d’autres enfants. Elle nous a montrés de jolies poupées en bois qu’elle fabriquait. Cette idée nous a beaucoup plu et elle a été réutilisée sous la forme d'un atelier qu'animait la petite fille. C’est un petit exemple pour présenter comment on responsabilise les enfants. C'est de cette façon que nous organisons toutes les activités.
- Une autre idée qui est très korczakienne, ce sont les « réunions de bougies ». Ces réunions sont organisées par les animateurs de groupe tous les soirs avec leur petite « famille ». Les enfants et les adolescents se réunissent autour d'eux dans des chambres sombres simplement éclairées par des bougies. Ils y chantent et puis ils discutent ce qui s’est passé au cours de toute la journée. Souvent, ils abordent les moments qui ont été difficiles pour eux, les situations de conflit, etc. Chaque fois, l'animateur traite très sérieusement tous ces sujets et aide les enfants à résoudre les conflits par eux-mêmes.
- Oui, mais ce ne doit pas être évident pour les animateurs de faire face à certaines situations de conflit. Comment font-ils ?
- C’est vrai, ce n’est pas aussi simple. En fait, c’est pourquoi nous avons toujours des difficultés à trouver des bénévoles. Ils sont supposés avoir en même temps les connaissances pédagogiques et les savoir–faires adéquats. Après on peut les former, leur transmettre des bases sociologiques, les entraîner avec des jeux de rôles, etc., mais la formation seule n’est jamais suffisante en elle-même.
- Et s'il y a des conflits entre les animateurs, qu'est-ce que vous faites ?
- Pour cela, nous avons deux animateurs en chef chargés de négocier entre les personnes concernées. C'est leur responsabilité de trouver les solutions adéquates pour ce type de situation. De plus, nous avons institué depuis l'année dernière un médiateur qui joue un rôle d'observateur indépendant. Cette personne est à l'écoute de tous ceux qui la demandent.
- En résumé, vous avez expliqué comment vous adaptiez votre programme aux attentes des enfants, par exemple en les rendant responsables de certaines tâches, ou en favorisant la mixité au sein des groupes, ou encore en plaçant les animateurs au sein des groupes pour assurer le bon fonctionnement du camp. Est-ce que vous voudriez ajouter autre chose sur ces aspects korczakiens du camp ?
- On demande aussi aux groupes d’enfants plus grands de prendre la responsabilité des plus petits. Les premiers aident les seconds dans certaines tâches comme la lessive. C’est très important pour que les plus grands comprennent bien leur rôle de soutien [capables de montrer l'exemple]. Il ne s'agit pas pour eux de « faire à leur place ». Tout ceci se fait dans une ambiance familiale où les enfants savent bien qu’ils appartiennent à une grande communauté. De plus, on essaie aussi, comme Korczak le faisait de son temps, de proposer aux enfants des activités culturelles, beaucoup de théâtre et de musique notamment. Ces activités se font souvent de façon très spontanée.
- Sinon, Korczak est aussi connu pour avoir institué un tribunal des pairs composé d'enfants. Nous ne le faisons pas, mais les enfants peuvent résoudre leurs conflits au cours des « réunions de bougies ». En revanche, comme chez Korczak, les règles sont les mêmes pour les enfants que pour les animateurs. Ces jeunes ne peuvent ni boire d’alcool ni se droguer dans le camp. Nous leur préparons malgré tout un coin fumeur, mais il est placé en dehors du camp dans un lieu suffisamment désagréable pour être dissuasif. Par contre, concernant les drogues, on leur interdit totalement la consommation de marijuana[3].Tout jeune qui déroge à ces règles serait immédiatement exclu du camp.
Évaluations et perspectives
- Pour revenir aux animateurs, comment vous faites pour les sélectionner ?
- D’abord, voyons comment cela se passe chez nos amis russes. Ce sont les professeurs d'université qui s’occupent de recruter des jeunes. Au départ, c’était Irina Demakova, maintenant c’est Roza Valeyeva. De notre côté, nous recrutons aussi essentiellement des étudiants ou des jeunes de 17–18 ans comme stagiaires. Ceux-ci pourront plus tard devenir animateurs, mais l'évolution n’est pas automatique. Chaque année nous sommes obligés de refuser des demandes en ce sens de certains stagiaires. C’est une décision très difficile, mais justifiée par notre responsabilité vis-à-vis du camp. Je me souviens d’un stagiaire de 18 ans qui voulait devenir animateur et qui n’a pas été accepté. Il était convaincu d’avoir une bonne approche pédagogique et ne comprenait pas notre décision. Finalement, je lui ai proposé de s’adresser à une autre structure qui organisait aussi des camps d’été. À la fin de son nouveau stage, ils ont émis le même avis que nous, ce qui a validé notre décision. Cette personne n’était tout simplement pas capable de travailler avec les enfants. Korczak lui-même était très direct avec ses éducateurs et il savait qu’il faut être parfois dur pour dire la vérité.
- Maintenant, une question concernant le travail d'évaluation réalisé sur place l’année dernière par des étudiants de l’École du Travail Social des Pays-Bas. En avez-vous pris en compte les résultats ?
- Oui, ces recherches ont été très utiles. Le rapport de ces étudiants nous a donné une image claire et précise du camp. Il nous a montré que le camp n’avait pas aussi solidement ancré dans la pensée de Korczak que ce qu’on croyait et que cette liaison avec son héritage n’était pas nécessairement évidente pour tous les participants du camp d’été. Je dois admettre que ceci s'est avéré être un point faible de notre projet. Maintenant, nous prenons en compte cette constatation et nous parlons beaucoup plus de Korczak aux animateurs lors de leur formation.
- Sinon, deux des auteurs de ces recherches vont participer au séminaire international organisé par notre association au mois de septembre (2007). Ils pourront alors présenter leur expérience dans un cadre plus général. Leur rapport a aussi été envoyé à certains de nos sponsors. D'habitude, on leur envoie uniquement un rapport financier, mais certains d'entre eux s'intéressant de plus près à notre fonctionnement et c'est à eux que nous avons envoyé le rapport des étudiants. Ils étaient très contents. Un autre apport attendu concerne des recherches qui pourraient se faire du côté de l’association russe, mais ce sera sans doute assez compliqué vu les soucis financiers de leur côté.
- Pour terminer, comment voyez-vous l'avenir du camp ?
- Je crois que comme il devient de plus en plus difficile de trouver des animateurs, il faudra à l'avenir limiter à un maximum de 80 le nombre de participants. Concernant la participation envisagée d'autres pays à notre projet, je ne pense que cela sera possible. En 2006, nous avons eu quelques jeunes d'Allemagne et de Belgique mais les associations étrangères qui souhaitent envoyer des enfants dans notre camp doivent pouvoir trouver elles-mêmes les financements nécessaires. C'est pour cela que je crois que le partenariat russo-hollandais d'origine aura du mal à s'agrandir[4].
Propos recueillis et traduits de l'anglais par Ewelina
Cazottes,
Paris, le 23 juin 2007.
Notes
[1] Kazan est la capitale du Tatarstan.
[2] Les participants du camp appellent leur groupe « famille ».
[3] Aux Pays-Bas, les jeunes peuvent acheter légalement des drogues douces dans des endroits spéciaux (les « coffee-shops »).
[4] En 2007, quelques jours après cette interview, la colonie de vacances Nash Dom s'est déroulée avec succès avec encore un total de 115 personnes, soit : 85 enfants, 23 animateurs, 5 stagiaires, 1 homme de service et 1 infirmière. Les financements avaient pu être trouvés et le budget a pu être équilibré.