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AFJK (Asssociation Française Janusz Korczak)

Le projet de constitution européenne de 2003
et les droits de l’enfant

Sommaire

Rédigé avant le rejet par la France du projet de traité du 18 juillet 2003 établissant une constitution pour l''Europe, cet article relevait le fait que, contrairement à ce qui se disait alors, ce texte supposé fondateur était nettement en recul par rapport aux traités précédents de l'Union Européenne, notamment sur la question des droits de l’enfant.

Si « la protection des droits de l’enfant » était mentionnée dans les objectifs de l’Union (art. I-3), c'est une nouvelle version européenne des droits de l’enfant qui avait été définie à l’article II-84, dans la partie II consacrée à la charte sociale, en trois alinéas…

À y regarder de près, dans l’ensemble du projet de traité, trois points font problème :

Les auteurs du projet de traité sur la nouvelle constitution européenne avaient-ils la moindre idée ce qu'a pu représenter depuis ces deux dernières décennies l'évolution de la reconnaissance des droits de l’enfant ? De cette évolution majeure qui sera prochainement reconnue de façon universelle avec la signature attendue des États-Unis, il semble qu'ils n'aient rien retenu, et surtout rien entendu.

Ni dans les préambules des parties I et II, ni dans la Charte des droits fondamentaux et nulle part ailleurs dans le texte, il n'est fait explicitement référence à la Convention Internationale des droits de l’enfant adoptée par l’O.N.U en 1989 (la CIDE), ni même à la Convention européenne sur l'exercice des droits de l’enfant (la CEEDE) établie en 1996 et qui était censée en étendre encore la portée.

La protection des droits de l’enfant est pourtant dûment mentionnée à deux reprises dans le préambule général en complément des droits de l’homme, mais, sans références, de quels droits s’agit-il ? La constitution précise clairement et en chaque occasion c’est-à-dire à six reprises, sa référence extérieure en matière de droits à l’homme mais elle ne le fait pas pour les droits de l’enfant.

Cette différence de traitement est inquiétante, et elle n'est pas acceptable. Elle l'est d'autant moins qu'on instituerait ainsi l'abandon et la dévalorisation des droits de l'enfant, en donnant aux États parties une liberté supplémentaire de les négliger.

La charte des droits fondamentaux de l’Union exposée dans la partie II de la Constitution mentionne « Les droits des enfants », en un article II-84 (pp. 81-82) qui en porte le titre et qui occupe six lignes et trois alinéas. Son énoncé décline une nouvelle version européenne des droits de l’enfant et cette nouvelle définition réduit à une demi-douzaine les droits fondamentaux et inaliénables des enfants, en lieu et place des 40 qui leur sont reconnus par la CIDE en ses 54 articles, et des 26 articles de la CEEDE.

Cette définition sélectionne quelques-uns des droits fondamentaux des enfants.

Bien pire encore, quant à l’application effective de ces maigres droits rien ici ni ailleurs dans les quatre parties du texte n’évoque aucun contrôle, aucune obligation d’application.

Au contraire, et c’est un problème pour toute la partie II censée protéger l’ensemble des droits des citoyens de l’Union, l’interprétation et l’application de la charte sont soumises en son Titre VII (p. 93) à des réserves et des conditions particulièrement restrictives, bien supérieures à celles que l’on connaît déjà puisqu’il faudra « prendre en compte les explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention qui a élaboré cette Charte et mises à jour sous sa responsabilité ».

Les membres de la Convention, non contents de s’être eux-mêmes remerciés d’avoir rédigé la constitution (!)[1], se sont ici tout simplement attribué un pouvoir supplémentaire et… éternel (!). C’est un peu comme si on demandait à un Comité formé des secrétaires de rédaction du Code pénal (le praesidium) de bien vouloir juger de l’usage qu’il serait fait de son contenu, sans doute pour faire gagner du temps à la Justice…

Avant de juger, et au final de voter pour approuver ou rejeter le texte qui nous est aujourd’hui proposé, il conviendra d’abord de bien l’examiner. Nous nous y efforçons ci-dessous. Le texte de la constitution égrènerait-il ailleurs l’ensemble des droits actuellement reconnus aux enfants ? ou bien traiterait-il simplement les enfants comme des citoyens comme les autres, ce qui serait un moyen intéressant et avant-gardiste de leur reconnaître les mêmes droits ?

Ces deux questions nous ont obligés à examiner non seulement toutes les occurrences concernant les droits de l’homme mais aussi la définition du statut de la citoyenneté dans la constitution. Le résultat est affligeant. Mais pour bien faire, nous avons aussi voulu examiner le point sensible des réserves d’application qui semblent limiter la portée de la Charte et nous avons dressé le relevé des quelques points positifs du corpus avant de conclure. Une conclusion volontairement très provisoire.

1. L’article II-84

Dans le texte qui nous est proposé, les droits de l’enfant sont nommément mentionnés et définis dans la partie II « La charte des droits fondamentaux de l’Union », au Titre III « Égalité », Article II-84 (pp. 81-82). — À l'identique à la virgule près du projet de traité qui avait été soumis à l'examen préalable des gouvernements pendant plus d'un an (article II-24, p. 54).

« Droits de l’enfant »
  1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.
  2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
  3. Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt.
Commentaire

L’alinéa 1 rappelle en les résumant les droits dits de protection puis, des droits positifs définis dans les articles 12 à 17 de la CIDE. Seuls ont été retenus le droit de donner son opinion et celui d’être entendu, dans une formulation légèrement différente de celle de la CIDE.

L’alinéa 2 se contente de faire appel au bon sens des adultes, de la façon la plus vague possible, en référant leur jugement à « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

L’alinéa 3 donne le droit aux enfants d’avoir des relations avec ses deux parents. On mesure au choix de ce droit parmi une trentaine d’autres tout aussi fondamentaux les préoccupations actuelles des auteurs du texte, et leur arbitraire.

En redéfinissant en trois alinéas et six lignes une pincée de droits sélectionnés, en lieu et place de la référence qui s'imposait aux droits de l'enfant adoptés par l'ONU, les auteurs de la constitution ont effacé d’un trait les dix ans de travaux et de compromis qui avaient permis d’aboutir aux formulations précises et longuement étudiées de la CIDE.

2. — Relevé des occurrences du mot « enfant » (13)

« Droits de l’enfant » : 3 fois

« ENFANT » : 10 fois
3 fois au singulier et 7 fois au pluriel
(pp. 78, 81-82, 84, 85, 211, 216)

Commentaire

Les deux derniers articles cités ne sont pas dans la charte sociale mais dans la partie III qui traite des politiques et du fonctionnement de l’Union[2].

L’article III-267 semble offrir une protection supplémentaire aux enfants, mais pas à n’importe lesquels ! Deux conditions sont en effet exigées pour être « équitablement traité » : il faudra à la fois être un citoyen européen et en situation régulière. On découvre ici que tous les autres citoyens (européens irréguliers et étrangers) pourront donc être traités de façon inéquitable. Cette mention nous semble être une atteinte directe aux droits de l’homme et aux droits de l’enfant, car ces immigrés irréguliers comptent bien sûr toujours des enfants.

L’article III-271 traite de « Coopération judiciaire en matière pénale » en mentionnant en clair l’exploitation sexuelle des enfants. C’est ici, en ce domaine policier et judiciaire encore parfois très en retard dans l’application de la CIDE, le signe d’un progrès.

3.- Relevé des références aux droits de l’homme (12)

Le texte de la constitution réaffirme six fois les droits de l’homme et fait six autres fois explicitement référence à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (citée ici en abrégé : CEDH). À chaque fois, ses auteurs ont cru nécessaire et utile de le faire. À l’opposé, ils ont délibérément omis toute référence aux textes internationaux fondateurs des droits de l’enfant, c’est-à-dire aux textes qui définissent après  des siècles d’évolution les droits de l’homme de l’enfant.

Commentaire

Tant que la CIDE ne sera pas pleinement appliquée dans tous ses articles sans réserves ni observations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU (cf. son dernier rapport sur la France), et tant qu’elle ne sera pas pleinement intégrée sans réserves ni restriction dans la constitution et la jurisprudence de chaque pays membre (ce qui n’est pas encore le cas en France), aucune raison ne justifie d’être plus prudent vis-à-vis des droits de l’homme que vis-à-vis des droits spécifiques des enfants.

Bien au contraire, si l’on redoute la non-application à la lettre des premiers on doit s’attendre à tous les dérapages possibles vis-à-vis des seconds.

4.- Quelle citoyenneté pour les enfants ?

Il faut d’abord comprendre que la citoyenneté de l’Union s’ajoutera à la citoyenneté nationale et ne la remplacera pas. (Art. I-10). La citoyenneté européenne est définie dans la partie II, Titre V, de l’art. II-99 à II-106 (pp. 87-90).

On trouve par ailleurs dans l’ensemble de la constitution les mots et expressions suivants : « Toute personne » (36 items) et « Citoyen » ou « Citoyenneté » (36 items aussi).

Une grande partie des droits reconnus ici peut ou devrait s’appliquer indifféremment aux enfants et aux adultes (droit de bonne administration, de protection, d’un médiateur, d’une Justice et de recours, etc.). Certains droits seraient même très bienvenus, compte tenu de ce qu’on sait de l’éducation à la démocratie et de la réalité actuelle du vécu actuel des enfants et des adolescents dans notre pays, à l’école ou face à la Police ou à la Justice par exemple, notamment lorsqu’ils sont étrangers ou immigrés. Citons par exemple :

Sur la démocratie participative

Sur la Justice

Commentaire

Hélas, alors même que dans leur contenu une partie de ces droits est bien établie et reconnue par la CIDE, il semble bien que dans la nouvelle Europe, il faudra attendre l’âge de 18 ans pour pouvoir (peut-être) en bénéficier.

La présence de certains autres droits dans cette liste, les formulations choisies et les associations faites après les mots et expressions désignant les citoyens européens, attestent que les auteurs de la constitution — et donc le puissant praesidium, ne pensaient absolument pas aux enfants ou aux mineurs en rédigeant toutes ces lignes (liberté de chercher un travail, droit de vote et d’éligibilité aux municipales, droit de libre circulation, etc.).

5.- Les réserves et limitations suspectes

L’application de la constitution, on s’en doute, passe par des règles strictes. Il est plus surprenant de constater que seule la partie II, la charte sociale, bénéficie de ses propres règles supplémentaires de mise en application et de respect très précisément définies dans son préambule, au 5e § (p. 72) :

Commentaire

On découvre ici que l’interprétation de la Charte prendra en compte les explications du praesidium de la Convention, une assemblée de fonctionnaires et d’experts désignés confidentiellement.

Sur ce point, on pourra lire l’article de Anne-Cécile Robert dans Le Monde diplomatique de novembre 2004 intitulé « Coup d’état idéologique en Europe » et sous-titré « Une vraie-fausse Constitution ».

6.- Relevé des points positifs

Conclusion

Quand on se rappelle la mobilisation internationale pour la mise en application progressive de la C.I.D.E sous la haute surveillance du Comité des droits de l’enfant de l’ONU et les engagements du Sommet mondial des chefs d’État… Quand on mesure aussi les progrès accomplis depuis cette date du fait de l’aspect contraignant de cette C.I.D.E et parallèlement toutes les difficultés restant à surmonter dans chaque pays, y comprisvles plus évolués (cf. les récentes observations faites à la France par l’ONU le 4 juin dernier à la suite de son rapport quinquennal), la réduction à la portion congrue des droits de l’enfant dans la rédaction de la Constitution européenne est un coup bas porté à tous ceux qui œuvrent pour la défense, la protection et le respect des enfants, à l’opposé des engagements pris devant les enfants et le monde entier.

Malgré un hypothétique renforcement policier et juridique annoncé, le texte proposé ouvre la porte à de nouveaux abus et détournements de sens.

Dans ces conditions et en l’état, et indépendamment de toute autre critique, avant d'être soumis à notre approbation, il aurait fallu que le texte constitutionnel puisse être profondément amendé sur le plan de la reconnaissance effective des droits de l’enfant, c’est-à-dire de la promotion du respect de l’enfant et de sa place en tant que citoyen à part entière dans l’espace européen. Or ce n'est pas après son adoption que ce sera possible…

Si le statut de l’enfant n’évolue pas ici, en Europe, maintenant, ou serait-ce donc possible ? Le comble est que les États-Unis, le seul état constitué au monde (avec la Tanzanie qui n’en est pas tout à fait un) qui n’a pas encore accepté de signer la Convention de l’ONU de 1989 relative aux droits des enfants, s'apprêterait à la signer prochainement depuis une décision favorable de la Cour suprême abolissant la peine de mort infligée aux enfants. Au moment ou les USA signeraient ce traité majeur et universel, l'Europe en annulerait le sens et la portée dans sa nouvelle constitution ?

Et comment les dirigeants des pays européens, forts de cette nouvelle référence, pourraient-ils être encouragés à tenir leurs engagements de tout faire pour mettre en application à la lettre les 54 articles de la CIDE, quant on sait les difficultés que cela représente pour un pays, quant on sait que dans notre France exemplaire, il s'en faut encore de beaucoup pour le compte y soit ? Est-ce cela l'exemple du respect de l'enfant par les plus hautes institutions ?

En 1923, la Déclaration de Genève qui énonçait les principes de base de la protection de l’enfance avait beaucoup déçu Janusz Korczak car il avait estimé qu’il ne s’agissait encore que de bonnes intentions et de paroles creuses. Dans son célèbre et magnifique manifeste publié en 1929 « Le droit de l'enfant au respect », où il explique aux adultes les droits inaliénables des enfants, il précisait ceci :

« Les législateurs genevois ont confondu les notions de droit et de devoir : le ton même de la Déclaration relève de la prière et non pas de l’exigence. C’est un appel aux bonnes volontés, une demande de compréhension ». (Aujourd’hui, on peut lire : « Les législateurs européens… »).

En 1989, l’adoption de la CIDE, comme l’avait fait très justement remarquer le Juge Jean-Pierre Rosensczeig, avait constitué un acte politique majeur en tournant cette page définitivement et en exigeant des États la reconnaissance effective de tous les droits des enfants et le contrôle de leur mise en application.

En 2005, devrons-nous à notre tour nous insurger contre une régression et reprendre le bâton de pèlerin de Janusz Korczak, de Ludwik Rajchman (cofondateur de l’UNICEF), Joseph Wresinski (fondateur d’ATD quart-Monde) et des autres grandes personnalités humanistes du siècle dernier qui ont su faire avancer l’humanité tout entière en défendant ses enfants ?

Il serait nécessaire de recueillir d’autres avis et de se concerter, si possible, avec les mouvements et les nombreuses associations de défense et de protection des enfants. Qu’en disent leurs responsables ? Que dire, que faire en effet face à cette situation ?

Dans le débat en cours, nous serions heureux que les députés européens, les fonctionnaires européens, les hauts fonctionnaires, les députés et les chefs de gouvernements des États parties, en clair tous les artisans de ce projet de « constitution », éclairent la population et notamment le peuple des enfants d'Europe, sur les conditions de ce naufrage, sur les compromis et les blocages qui ont conduit à ce désastre historique.

En retour, l’Association Korczak (AFJK) se ferait certainement un plaisir de leur offrir un exemplaire du manifeste suscité de Janusz Korczak, un texte de 30 pages daté rappelons-le de… 1929.

Bernard Lathuillère,
26 novembre 2004
(révision 4, le 19 avril 2005)

 

 

Proposition d’amendements (première mouture)

Sur le principe, il s’agirait d’ajouter dans le texte de la constitution la référence à la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant (CIDE), prioritairement, et à la Convention européenne sur l’exercice des droits de l’enfant (CEEDE), secondairement, à chaque fois que ses auteurs ont cru nécessaire et utile d’ajouter une référence explicite à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).

Deux types d’amendements seraient nécessaires : le premier pour ajouter simplement la mention « et à la CIDE-CEEDE » (quatre fois), le second pour proposer la rédaction d’un nouvel alinéa sur le modèle exact de celui réfère à la CEDH (deux fois).

 

Les textes officiels
Composition du traité (448 articles, 349 pages)

 

 

______________________

Notes

[1] À la fin du préambule général, p. 11 : « Les États parties […] RECONNAISSANTS aux membres de la Convention européenne d'avoir élaboré le projet de cette Constitution au nom des citoyens et des États d'Europe ». Ces remerciements sont un moyen de masquer le fait les membres en question n’avaient pas été choisis démocratiquement — en fonction de leurs seules compétences dans tous les domaines nécessaires, droits de l’enfant compris par exemple —, mais nommés à la seule discrétion des gouvernements (les partis politiques au pouvoir), c’est-à-dire aussi en fonction de critères politiciens.

[2] Exactement : Partie III, Titre III « Politiques et actions internes », Chapitre IV « Espace de liberté et de  Justice », Section 2 « Politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l'asile et à l'immigration ».

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(Page créée le 20/11/2004 - Revue le :13/06/05)