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Association Française Janusz Korczak (AFJK)

« L'intégration des droits de l'enfant »
par Jean Le Gal

Jean Le Gal

Jean Le Gal, docteur en Sciences de l'éducation, ancien instituteur et collaborateur de Célestin Freinet, Enseignant-chercheur à l'IUFM de Nantes, militant engagé du mouvement Freinet au sein de l'ICEM étudie depuis longtemps les conditions de la participation des enfants. Ce dispositif pédagogique de premier choix réservé aux meilleures écoles dans le cadre de la « pédagogie nouvelle », est devenu depuis 1989 un droit reconnu applicable à tous les enfants, avec l'adoption de la Convention des droits de l'enfant. Les droits d'expression et de participation qu'elle décrit dans ses articles 12 à 17 et que Janusz Korczak avait su instituer au niveau de la vie quotidienne des pupilles de son orphelinat à partir de 1912 sont pourtant encore largement ignorés des institutions accueillant les enfants.

Sommaire et résumé

Introduction - Appliquer la loi - Faire connaître la CIDE - L'article 12 - Le relais de la Charte Agenda - Organiser la participation des enfants - Les conseils d'enfants de Nantes - Conclusion

Sachant que « de nombreuses questions restent posées et que la Convention internationale en a généré d'autres », Jean Le Gal nous rappelle l'évolution des textes et les difficultés de leur mise en application : « Tout se passe comme si les gouvernements successifs reculent devant les oppositions diverses à un droit qui remet en cause le rapport d'autorité des adultes aux enfants et les obligent donc à rechercher une autre relation fondée sur le respect, une éducation à la liberté, la responsabilité et l'autonomie, et ce malgré les recommandations du Comité des droits de l'enfant mais aussi celles du Conseil de l'Europe et de l'UNICEF ». Il étudie quelles stratégies mettre en place pour faire respecter ces droits fondamentaux de l'enfance tout en nous invitant à poursuivre « notre recherche coopérative pour une organisation démocratique de nos collectifs éducatifs », et à « créer une réelle éducation politique démocratique et de soutenir les initiatives citoyennes dont des enfants et des jeunes prennent l'initiative ».

[15/12/09] Mots clés : colloque Korczak du 9/12/2009, droits de l’enfant, Jean Le Gal, Mouvement Freinet, Janusz Korczak, institutions démocratiques, action éducative, Convention internationale des droits de l’enfant, article 12, droits-libertés, Le droit de l’enfant au respect, Promouvoir la participation des enfants au processus démocratique, UNICEF-Centre de recherche Innocenti, Charte-Agenda mondiale des droits de l’Homme dans la Cité, CGLU, éducation à la liberté, organisation démocratique des collectifs éducatifs, éducation politique démocratique, initiatives citoyennes des enfants et des jeunes.

Introduction

C'est seulement en 1981, alors que l'aventure autogestionnaire du Mouvement Freinet commencée en 1964 se terminait, que j'ai pris connaissance de la dimension autogestionnaire de Korczak par la BT2, « Janusz KORCZAK et les droits de l'enfant » écrite par notre amie polonaise Halina Semenowicz. C'est dommage car nous aurions tiré des principes qu'il défendait et des institutions démocratiques qu'il avait créées des pistes d'approfondissement de nos propres tentatives.

Mais nous aurons l'occasion de retourner aux sources korczakiennes dans l'action éducative et militante qui est la nôtre pour faire de la classe et de l'école, un lieu où les enfants peuvent s'exprimer librement et participer au processus décisionnel sur leur vie, leurs activités et leurs apprentissages.

Je ne retiendrai aujourd'hui de cette action que deux pistes qui doivent se poursuivre demain :

  1. Agir pour que les droits de l'enfant soient reconnus par des textes juridiques contraignants.
  2. Mettre en œuvre les droits reconnus aux enfants par la Convention internationale des droits de l'enfant :
    1. faire connaître la Convention internationale ;
    2. faire connaître et respecter son article 12 et les droits-libertés ;
    3. appliquer, dans la Cité et tous les collectifs éducatifs, le droit des enfants à participer au processus décisionnel démocratique.

1. Agir pour que les droits de l'enfant soient reconnus par des textes juridiques contraignants

Frédéric Jésu et Bernard Defrance nous disent dans la préface du remarquable livre de Korczak, Le droit de l'enfant au respect, qu'il « acquit très vite la conviction que des relais juridiques et politiques s'avéraient nécessaires pour inscrire dans le temps et diffuser dans l'espace les changements de regards, de principes et de pratiques qu'il importe d'instaurer envers les enfants et les jeunes ».[1]

Cette conviction est aussi devenue celle de Freinet et de ses compagnons de l'École Moderne, dont les conceptions éducatives et politiques étaient confrontées à de nombreuses oppositions. C'est pourquoi, en 1957, au Congrès international de Nantes, ils ont adopté une « Charte de l'enfant » envoyée aux Nations Unies, dont certains articles étaient largement en avance sur les principes qui seront retenus par la Déclaration des droits de l'enfant adoptée le 20 novembre 1959. L'article 15, qui était la traduction en droit des pratiques démocratiques de la pédagogie Freinet, stipulait que : « Les enfants ont le droit de s'organiser démocratiquement pour le respect de leurs droits et la défense de leurs intérêts ».

En 1983, alors que les réflexions sur une Convention internationale des droits de l'enfant avaient commencé, nous avons décidé de rappeler notre revendication dans une « Charte des Droits et des Besoins des enfants et des adolescents »[2] débattue au cours d'un colloque sur les droits de l'enfant, à Paris X-Nanterre, en août 1983.

Dans cette Charte, nous marquions « notre choix politique pour une éducation des enfants et des adolescents à la liberté, la responsabilité, l'autonomie, le respect des droits des hommes, la coopération, la solidarité et l'entraide ».

Nous y affirmions que « les enfants sont capables de prendre des décisions selon leurs intérêts et leurs aptitudes, dès la première enfance, dans la famille, l'école et la cité… » et qu'en conséquence, il faut leur reconnaître un « droit d'intervention sur leur environnement social et sur leur propre vie ».

En exergue de notre projet, nous avions placé une citation de Korczak, qui est encore d'actualité aujourd'hui : « Nous ne donnons pas aux enfants les moyens de s'organiser. Irrespectueux, défiants, mal disposés à leur égard, c'est bien mal que nous en prenons soin. Pour savoir comment s'y prendre, il nous faudrait s'adresser à des experts, et les experts ici, ce sont les enfants »[3].

En effet, pour changer le rapport de pouvoir et d'autorité entre les adultes et les enfants, encore faut-il avoir la conviction que les enfants ont une capacité réelle d'expertise pour tout ce qui concerne leur vie dans la famille, la cité et les collectifs éducatifs.

Les expériences actuelles de démocratie participative montrent d'ailleurs qu'elles ne peuvent réellement s'exercer que si les détenteurs du pouvoir acceptent de le partager. Or ce partage s'appuie sur la conception que tout être humain a les capacités d'exprimer un avis pertinent et de participer à l'élaboration des projets, débats et décisions qui le concernent.

La démocratie participative repose donc sur le droit de participation et sur le principe de capacité de chacun à l'exercer.

Allant dans ce sens, en 1989, avec le Mouvement des Francas, nous avons proposé aux enfants et aux jeunes d'exprimer leurs critiques et leurs propositions dans des Cahiers de doléances qui seraient présentés par eux, aux élus, du président de la République aux maires des communes. Cette action a suscité des initiatives de plus grande écoute de leur parole.

Il était donc logique que nous saluions avec grand intérêt l'adoption de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant qui non seulement apportait des bases solides d'action pour sa protection et la satisfaction de ses besoins vitaux mais lui reconnaissait les droits-libertés que nous revendiquions pour lui et que, dans la filiation des pionniers de la démocratie à l'école, nous mettions en œuvre dans nos classes et écoles.

Nous pourrions désormais répondre avec des arguments solides à tous ceux qui s'opposaient à notre action éducative et pédagogique pour une école moderne, populaire et libératrice dans laquelle les enfants sont des personnes dont la dignité et la parole sont respectées, sont associés aux décisions qui les concernent, et dont la liberté, l'égalité, la coopération, la solidarité, la responsabilité, la paix et la justice, sont des valeurs fondamentales.

Les principes et les droits défendus par Korczak, Freinet, Pistrak, Makarenko et par nous-mêmes dans nos pratiques autogestionnaires ne seraient plus dépendants de notre bon vouloir et de nos convictions humaines, philosophiques, politiques, pédagogiques et éducatives.

La Convention nous plaçait dans une problématique nouvelle de la relation entre les adultes et les enfants. Il ne s'agissait plus de leur octroyer des droits et des libertés. La Convention les leur reconnaissait, ils en étaient titulaires à part entière même s'il ne pourrait pleinement les exercer qu'au fur et à mesure du développement de leurs capacités.

Nul ne pourrait plus légitimement, et même légalement, les ignorer, encore moins les supprimer. L'éducation à la liberté, à la responsabilité et à la participation démocratique devait donc devenir une des finalités de tous les collectifs éducatifs.

Les droits et libertés de l'enfant étant reconnus dans un texte juridique contraignant, les pistes d'action pour les enseignants, les éducateurs, les animateurs jeunesse et les obligations pour l'État nous semblaient claires :

  1. Créer, comme les pionniers de l'école nouvelle et de l'école socialiste, Korczak, Pistrak, Freinet, Neill, des structures et des démarches participatives, confier aux enfants des responsabilités importantes dans la gestion de la vie de la communauté, leur apprendre à exercer les libertés en respectant les limites et les obligations liées à la vie en collectivité, rechercher les fondements d'une discipline éducative respectueuse de la dignité des enfants…
  2. Leur faire prendre conscience que ces pratiques démocratiques participatives sont la concrétisation de droits dont ils sont titulaires et qu'ils doivent pouvoir exercer dans d'autres lieux et donc leur apprendre par quelles stratégies et moyens ils peuvent eux-mêmes les défendre individuellement et collectivement. Il s'agissait donc de créer une réelle éducation politique démocratique, une éducation à la citoyenneté appuyée sur la Convention internationale

Mais, ce que nous n'avions pas prévu, parce que l'adoption de la Convention et sa ratification s'étaient faites avec l'appui des pouvoirs publics en France, c'est que l'État malgré des avancées dans bien des domaines, mettrait tant de réticences à faire appliquer les droits citoyens de l'enfant.

Nous étions, avec l'Institut de l'Enfance et de la Famille dirigé par Jean-Pierre Rosenczveig, devenus des « messagers de la Convention », il nous fallait reprendre la lutte cette fois pour que l'État respecte ses obligations, une lutte qui continue aujourd'hui.

2. Mettre en œuvre les droits reconnus aux enfants par la Convention internationale

Faire connaître la Convention internationale

L'article 42 stipule que : « Les États parties s'engagent à faire largement connaître les principes et les dispositions de la présente Convention, par des moyens actifs et appropriés aux adultes comme aux enfants. »

Cette action a suscité de nombreuses initiatives dans les années qui ont suivi l'adoption de la Convention.

Il est intéressant de rappeler qu'en 1992, le Ministère de l'Éducation nationale a publié des propositions du Conseil National des Programmes sur L'éducation civique aujourd'hui[4], qui affirmait que « Les droits de l'Homme constituent la référence à la fois éthique et civique pour gérer les tensions et les contradictions rencontrées tant dans la vie de la classe et de l'établissement que dans la construction de concepts et de compétences sociales ».

Encore fallait-il que les enfants et les jeunes les connaissent. Les quatre textes fondamentaux, la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (1789), la Déclaration universelle des droits de l'Homme (1948), la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (1950), la Convention internationale des droits de l'enfant (1989) seront donc « à l'école élémentaire comme au collège et au lycée, et selon des démarches d'appréhension spécifiques à chaque niveau… sous une forme adaptée, objets d'étude et d'activités ».

Dès le cycle des apprentissages fondamentaux (cycle 2), la Convention internationale des droits de l'enfant sera étudiée afin que chaque enfant soit sensibilisé au sens et à la portée des valeurs fondamentales. Il devra aussi « avoir eu connaissance des articles qui offrent une ouverture sur des pratiques immédiates : droit d'opinion, droit d'expression, et l'exigence de réciprocité ». Aucun enfant n'ignorera ses droits et ses libertés et les exigences liées à leur exercice. Participation aux décisions, engagement dans des projets collectifs, prises de responsabilités, actions de solidarité, rapport actif aux règlements, les préconisations témoignent que la participation active et responsable est devenue le critère de la citoyenneté.

« L'école ne saurait être fermée à des pratiques permettant à chacun de participer réellement à son fonctionnement et à la vie de la cité ».

La lecture de ce texte qui demeure un idéal éducatif à revendiquer aujourd'hui, permet de mieux prendre conscience de la régression actuelle puisque la Convention internationale ne figure pas au programme de l'école élémentaire et que seulement un jeune sur quatre et un adulte sur trois ont entendu en parler.

Mais hélas la situation n'est pas meilleure en ce qui concerne nos parlementaires, députés et sénateurs, à qui devrait revenir la responsabilité de garantir et de contrôler l'application de la Convention.

En 1998, le rapport de la Commission d'enquête, mise en place par l'Assemblée nationale, Droits de l'enfant, de nouveaux espaces à conquérir[5], avait montré l'intérêt des parlementaires pour les droits de l'enfant. Mais une enquête récente de la SOFRES pour l'UNICEF adressée aux 920 députés et sénateurs, qui a reçu seulement 135 réponses (90 députés et 45 sénateurs), montre que 66 % connaissent seulement la Convention de nom et 43 % y ont fait référence au cours de leurs travaux parlementaires. 12 % classent les droits de l'enfant au rang de priorité. 75 % estiment que les droits de l'enfant sont plutôt bien respectés dans notre pays mais on peut douter de leur expertise puisque 64 % ne connaissent pas les rapports d'application présentés par la France et donc certainement les recommandations du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies. Ils pensent cependant que le parlement français est le mieux placé pour garantir son application.

Devant cette situation, l'Assemblée générale de l'ICEM, lors de notre Congrès de Strasbourg, en août 2009, a voté une motion demandant aux pouvoirs publics de respecter leurs engagements internationaux, d'inscrire la Convention dans les programmes, d'en rendre obligatoire son affichage dans tous les établissements scolaires et d'établir des programmes de formation des enseignants afin qu'ils soient en mesure d'informer les enfants, de les aider dans leur rôle de promoteurs et de défenseurs de leurs droits, et de les accompagner dès leur plus jeune âge dans l'exercice de leurs libertés et de leur droit de participation démocratique.

Mais nous savons que nos protestations auront bien du mal à être entendus par les ministres concernés, c'est pourquoi l'Assemblée générale a préconisé, avec toutes les associations agissant pour la promotion des droits de l'enfant, la création d'un Front de l'Enfance.

 

Faire respecter l'article 12 de la Convention et les droits-libertés

Article 12
  1. Les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
  2. À cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.

Pour le Comité des Droits de l'Enfant des Nations Unies, qui est chargé du contrôle de l'application de la Convention par les États, l'article 12 est l'un des principes de base au cœur de la Convention, entraînant une révision fondamentale de l'approche traditionnelle qui voit dans les enfants les destinataires passifs de la protection des adultes.[6]

En 1990, dans son rapport[7], présenté à l'Assemblée nationale, pour la ratification de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant, la députée Denise CACHEUX avait informé les parlementaires que :

« Ce droit d'expression peut être décomposé en trois points :

- le droit de s'exprimer, de parler, de donner son avis ;

- le droit d'être écouté, d'être cru ;

- le droit de participer au processus de décision et même de prendre seul des décisions. »

 

Le droit de l'enfant de donner son avis et de participer au processus décisionnel démocratique était bien un droit, mais un droit que l'État ne va pas prendre en considération.

En 1993, le Comité des droits de l'enfant, après l'examen du premier rapport de la France, demande à l'État « d'examiner plus avant les moyens d'encourager l'expression de l'opinion des enfants et de faire en sorte que leur avis soit dûment pris en considération dans toute décision qui concerne leur vie, en particulier à l'école et au sein de la communauté locale. »

Dix ans après, en 2004, il recommande de « continuer à promouvoir le respect des opinions de l'enfant au sein de la famille, à l'école, dans les institutions ainsi que dans le cadre des procédures judiciaires administratives, et à faciliter la participation de l'enfant pour toutes questions l'intéressant, conformément à l'article 12 de la Convention, en tant que droit dont l'enfant est informé et non à titre de simple possibilité. »

Et pour que ce droit puisse s'exercer, il encourage la France « à donner aux parents, aux enseignants, aux fonctionnaires, aux membres du corps judiciaire, aux enfants eux-mêmes et à la société dans son ensemble des informations à caractère pédagogique sur cette question en vue de créer et d'entretenir un environnement dans lequel les enfants puissent librement exprimer leurs opinions, et où ces opinions soient dûment prises en considération. »

En 2009, cinq ans après, le 4e rapport de la France montre que la situation n'a guère changé. Le Comité recommande donc à nouveau « à l'État partie, conformément à l'article 12 de la Convention, et compte tenu des recommandations adoptées par le Comité en 2006 à l'issue de la journée de débat général sur le droit de l'enfant d'être entendu, de veiller à ce que le droit de l'enfant d'être entendu dans toutes les procédures le concernant soit largement connu des parents, des enseignants, des directeurs d'école, de l'administration publique, des magistrats, des enfants eux-mêmes et de la société en général, en vue d'accroître les possibilités de participation effective des enfants, y compris dans les médias. »

Tout se passe comme si les gouvernements successifs reculent devant les oppositions diverses à un droit qui remet en cause le rapport d'autorité des adultes aux enfants et les obligent donc à rechercher une autre relation fondée sur le respect, une éducation à la liberté, la responsabilité et l'autonomie, et ce malgré les recommandations du Comité des droits de l'enfant mais aussi celles du Conseil de l'Europe et de l'UNICEF.

Dans une recommandation très intéressante, « Promouvoir la participation des enfants aux décisions qui les concernent », adoptée le 13 mars 2009, la Commission permanente agissant au nom de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a indiqué que « le droit des enfants à la participation est reconnu dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (article 12) ou comme dans certains instruments du Conseil de l'Europe, comme la Convention européenne sur les droits des enfants… »

« L'Assemblée parlementaire considère que le processus de partage des décisions qui concernent la vie de l'individu et celle de la collectivité dans laquelle il vit est un des moyens de construire et de mesurer la démocratie dans un pays ; la participation est un droit fondamental du citoyen et les enfants sont des citoyens. »

Elle préconise de « lancer des programmes publics d'éducation à l'intention des parents et des enfants… qui les informent du droit de l'enfant d'exprimer librement son opinion » et « d'offrir une formation aux droits et à la participation de l'enfant à toute personne impliquée dans les processus de décision, en particulier aux juges, aux procureurs, aux juristes, aux éducateurs et aux personnels médicaux, et de développer chez les professionnels travaillant avec les enfants la capacité à consulter des enfants de groupes d'âge différents et à travailler avec eux. »

De son côté l'UNICEF, dans son rapport 2003, sur « la situation des enfants dans le Monde » avait appelé « l'attention du public sur l'importance, la raison, l'intérêt et la faisabilité de la participation active des jeunes à la vie de la famille, de l'école, de la communauté, de la nation. ». Il avait encouragé « les États, les organisations de la société civile et le secteur privé à promouvoir l'engagement véritable des enfants dans les décisions qui les concernent. » Pour l'UNICEF, cela suppose « que les adultes partagent avec eux la gestion, le pouvoir, la prise de décision et l'information », celle-ci devant être adaptée à leur niveau particulier de développement intellectuel. Mais pour être « authentique et efficace » la participation des enfants « passe par un changement radical des modes de réflexion et de comportement des adultes ».

Tous les éducateurs savent bien que ce changement radical de la place des enfants dans la société et des rapports que les adultes doivent entretenir avec eux, ne peut évidemment se faire que progressivement. Pour l'accompagner, l'UNICEF a publié deux recherches remarquables menées par Gerison Landsdown du Centre Innocenti de Florence :

Puisque les gouvernements successifs de la France ne tiennent pas compte des recommandations qui leur sont faites, ni des protestations qu'ils reçoivent, et que les parlementaires ignorent grandement les principes qu'ils devraient garantir, alors quels relais juridiques et politiques rechercher ?

Le secrétariat international permanent des droits de l'Homme et gouvernements locaux, siégeant à Nantes, l'occasion m'a été donnée de travailler au projet de Charte-Agenda mondiale des droits de l'Homme dans la Cité, initié par la Fédération mondiale des collectivités locales « Cités et Gouvernements Locaux Unis » (CGLU) qui adoptera le texte définitif à Mexico en novembre 2010.

La Charte-Agenda garantit et organise les droits des habitants dans la Cité et, en particulier, elle affirme que « Tous les habitants de la cité ont le droit de participer aux processus politiques et de gestion de la cité ». « Tous les habitants sont des citoyens et des citoyennes sans distinction de genre, d'orientation sexuelle, d'origine ethnique ou nationale, de condition sociale, d'opinion politique ou philosophique, d'âge ou de religion » et que « Tous les habitants de la cité ont le droit de participer aux processus politiques et de gestion de la cité ».

Elle stipule par ailleurs que « tous les garçons et les filles de la cité ont droit… à bénéficier de tous les droits reconnus par la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989 ».

J'ai fait remarquer qu'il était étonnant et regrettable que le plan d'action prévu n'envisage, pour les enfants, que des mesures nécessaires à leur protection et à la satisfaction de leurs besoins vitaux alors que l'exercice de leur droit de participation démocratique est soutenu par des recommandations du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies, du Conseil de l'Europe et de l'UNICEF et que des expériences, initiées par des villes et des associations, existent déjà dans de nombreux pays. J'ai soutenu qu'il était important que la Charte-Agenda renforce leur reconnaissance juridique et politique.

Il a donc été décidé d'ajouter au chapitre consacré aux « Droits à la démocratie participative » : Elle promeut la participation des enfants dans les affaires qui les concernent. »

Par ailleurs en ce qui concerne l'article IV, « Droits des enfants » j'ai proposé des ajouts aux préconisations initiales, ajouts qui gagneraient à être complétés, renforcés, affinés, puisque le processus de rédaction soumis au public sur le site www.spidh.org va continuer :

PARTICIPATION DES ENFANTS
  1. Organisation d'une campagne d'information auprès des élus, des adultes et des enfants afin qu'ils connaissent la Convention internationale des droits de l'enfant.
  2. Recensement des expériences de participation démocratique des enfants dans différentes structures de la Cité (ville — écoles — temps de restauration — centres de loisirs- institutions de la petite enfance…) et organisation de rencontres d'analyse des pratiques entre les acteurs, adultes et enfants. Favoriser la création de réseaux de coopération.
  3. Organisation de formations et mise en œuvre d'expérimentations accompagnées à l'usage des professionnels travaillant avec les enfants.
  4. Lorsqu'un projet concerne les adultes et les enfants, mise en place des moyens (structures-information-débat…) pour que les enfants, avec les adultes, se sentent concernés par la démarche participative mise en œuvre.

 

Appliquer, dans la Cité et tous les collectifs éducatifs, le droit des enfants à participer au processus décisionnel démocratique

Il ne suffit pas évidemment de revendiquer le respect de l'article 12, il nous faut poursuivre notre recherche coopérative pour une organisation démocratique de nos collectifs éducatifs. De nombreuses questions restent posées et la Convention internationale en a généré d'autres, ce serait donc une erreur que de continuer simplement à reproduire des organisations, des institutions, des démarches, qui ont cours dans nos Mouvements parce qu'elles nous ont été transmises comme des héritages culturels, pédagogiques et politiques.

J'ai ainsi été surpris à plusieurs reprises en interrogeant des enfants sur les droits qui leur étaient reconnus dans leur école ou leur centre de loisirs, de constater qu'ils étaient toujours persuadés que leurs droits de s'exprimer, de s'organiser, de participer aux décisions, leur avaient été accordés par des adultes bienveillants. Et donc qu'ailleurs, il était normal que ces droits n'aient pas cours.

Tout se passait donc comme si nous en étions restés au temps où la Convention n'existait pas encore.

C'est pourquoi je soutiens qu'une des pistes de réflexion et d'action aujourd'hui est d'apprendre aux enfants, en s'appuyant sur nos pratiques démocratiques participatives, qu'elles sont l'application de droits dont ils sont titulaires et qui doivent être respectés par tous les adultes avec lesquels ils vivent. Ces droits, ils peuvent aussi les défendre eux-mêmes et prendre l'initiative de les mettre en œuvre.

Il s'agit donc de créer une réelle éducation politique démocratique et de soutenir les initiatives citoyennes dont des enfants et des jeunes prennent l'initiative.

Mais j'en reviens à la poursuite de la recherche sur les pratiques démocratiques à l'école et dans les collectifs éducatifs.

Pour relancer l'analyse de nos pratiques et des expérimentations nouvelles, j'ai recensé un certain nombre de questions que je vous livre et qui vont servir de support à une réflexion internationale lors de la Rencontre Internationale des Éducateurs Freinet de juillet 2010, à Nantes.

  1. La participation étant un droit, comment faire pour que tous les enfants, en tenant compte de l'évolution de leurs capacités, puissent donner leur avis et participer, directement ou par l'intermédiaire de leurs représentants, aux débats et aux décisions sur les affaires qui les concernent et à leur mise en œuvre ?
  2. Quelles compétences sont nécessaires pour que chacun puisse exercer son droit de participation au sein de la collectivité (prise de parole dans un groupe, argumentation, animation, négociation, prise de décision, exercice des responsabilités…) et quels apprentissages mettre en place pour que tous soient formés à y être des citoyens actifs et responsables.
  3. Dans quels domaines les enfants pourront-ils exercer un pouvoir de décision seuls et en assumer la responsabilité ?
    1. Dans quels domaines, participeront-ils à la décision avec les adultes ?
    2. Dans quels domaines la décision appartiendra aux adultes seuls et seront-ils consultés ou pas ?
  4. En s'appuyant sur la créativité institutionnelle de chaque enfant et du groupe, quelles institutions, structures, démarches, outils, règles de vie, doivent être mis en place, pour que cette participation puisse pleinement s'exercer ?
  5. Quelles libertés individuelles pourront s'exercer au sein des collectifs éducatifs et comment : modalités d'exercice, limites, obligations, traitements des transgressions… ?[8]
  6. Comment apporter des réponses aux conflits et aux infractions, en respectant la dignité des enfants et les principes fondamentaux du droit ?
  7. Comment informer et former les adultes, parents, enseignants, éducateurs, animateurs, élus, afin qu'ils soient en mesure de créer un environnement favorable à l'expression de l'enfant et à sa participation responsable ?

La recherche de réponses pratiques à toutes ces questions impliquent que des expérimentations soient mises en œuvre dans tous les lieux où vivent les enfants. Mais aussi que nous menions une étude attentive des expériences menées par les pionniers de l'éducation nouvelle, de l'école socialiste et de l'éducation libertaire. Et, c'est par l'analyse, ensemble, de ces pratiques novatrices que nous dégagerions des stratégies, des procédures, des démarches, des outils…

Des pistes d'action existent donc. Je voudrais ici en signaler une du passé car elle peut encore aujourd'hui ouvrir des perspectives.

En 1993, à Nantes, un protocole d'accord avait été signé entre la ville de Nantes, l'Inspection Académique et l'IUFM, afin d'encourager la mise en place d'une éducation à une citoyenneté active et responsable, prenant en compte les droits et libertés de l'enfant, reconnus par la Convention des Nations Unies et trouver des solutions aux problèmes posés par des comportements parfois violents, dans les espaces collectifs de l'école, en y faisant participer les enfants.

Ce protocole original, et sans doute unique, a suscité la création de conseils de délégués dans une vingtaine d'écoles et de restaurants scolaires, là où il n'existait auparavant aucun conseil d'enfants, et permis d'organiser des rencontres entre adultes et enfants pour une mise en commun de leurs pratiques : stages à l'IUFM, assises de la citoyenneté…

Enseignant-chercheur à l'IUFM, j'ai été chargé d'accompagner ces expériences et de rechercher des réponses aux nombreuses questions qui se posaient.

Trois questions principales ont guidé mes investigations :

Afin d'apporter des réponses pertinentes aux enseignants engagés dans cette expérimentation, j'ai mené une étude des expériences des pionniers de l'éducation nouvelle, de l'école socialiste et de l'éducation libertaire, ainsi que de celles de plusieurs écoles Freinet.[9]

La troisième question a suscité de nombreuses controverses. Beaucoup d'enseignants étaient opposés à la participation des enfants à la gestion des conflits et des infractions, alors que pour des pionniers tels que Korczak, Pistrak, Freinet, Neil… il était évident que les enfants devaient être associés pleinement à la résolution des conflits et des infractions au règlement.

Janusz Korczak contestait le fait que dans les écoles c'est le maître qui fait justice et qui fixe les sanctions. « L'enfant a le droit d'exiger que ses problèmes soient considérés avec impartialité et sérieux » et que les décisions prises ne dépendent pas « de la bonne ou de la mauvaise volonté de l'éducateur, de son humeur du jour ». Pour protéger les enfants contre l'abus de pouvoir des éducateurs et défendre leurs droits, il avait institué des réunions-débats où les enfants pouvaient s'exprimer librement et un tribunal d'arbitrage composé de cinq juges enfants désignés par tirage au sort. Mais si les réunions-débats ne posaient pas problème, il n'en a pas été de même du tribunal.

Opposés à la création d'un tribunal, Pistrak et Freinet confient, l'un à l'Assemblée générale, l'autre à la Réunion de coopérative, la responsabilité de juger des infractions et de décider des sanctions.

Mais ils sont tous d'accord sur la participation des enfants à qui ils font confiance pour la recherche d'une juste solution et sur un principe d'égalité : les lois de la collectivité s'appliquent à tous, adultes et enfants, et tous sont mis publiquement, en face de leurs responsabilités et des conséquences de leurs actes.

Quel que soit le choix institutionnel fait, l'enfant accusé a le droit de se défendre et la décision qui est prise a pour but premier de lui permettre de réintégrer la communauté, soit par une réparation, soit par un engagement à modifier son comportement.

Le problème d'une discipline éducative respectueuse de la dignité de l'enfant et de ses droits reste posé aujourd'hui dans les écoles en général car les textes de l'Éducation nationale concernant la discipline à l'école primaire ont besoin d'être revus, comme ceux du secondaire.

Mais la participation des enfants au respect des règles qu'ils ont contribué à élaborer, dans les écoles organisées démocratiquement, suscite toujours des interrogations. Nous aurons donc à revenir de façon approfondie sur l'expérience de Korczak en ce domaine.

Notre revendication du respect de la Convention internationale doit s'accompagner de la renaissance d'un grand chantier coopératif de recherche sur la participation démocratique des enfants dans les collectifs éducatifs.

Jean Le Gal, 9 décembre 2009,
Conférence au colloque de l'Association Française Janusz Korczak,
Bibliothèque Polonaise de Paris.

 

______________________

[1] KORCZAK Janusz, Le droit de l'enfant au respect, Paris, Éditions Fabert, 2009, préface p. 8.

[2] Projet de Charte des Droits et des Besoins des enfants et des adolescents, L'Éducateur, n° 12, 15 mai 1983.

[3] KORCZAK Janusz, Le droit de l'enfant au respect, Paris, Robert Laffont, 1979, 1re édition 1929.

[4] L'éducation civique aujourd'hui. Propositions du Groupe Technique Éducation Civique, Ministère de l'Education Nationale et de la Culture, juin 1992.

[5] FABIUS Laurent, président, BRET Jean-Paul, rapporteur, Droits de l'enfant, de nouveaux espaces à conquérir, rapport n° 271, commission d'enquête Assemblée nationale, 2 t., 1998 : « à la différence de la conception retenue jusqu'alors […], le texte ne définit plus seulement l'enfant par la seule nécessité d'une protection spécifique. Il pose en principe liminaire que l'enfant est une personne et, à ce titre, lui reconnaît non seulement des droits civils, sociaux ou culturels, mais aussi des libertés publiques, véritables “droits de l'homme de l'enfant”. »

[6] PAIS M.S., « La Convention relative aux droits de l'enfant », in Manuel relatif à l'établissement des rapports sur les droits de l'homme, OHCHR, Genève, pp. 393-505, 1997.

[7] CACHEUX Denise, 1990, Rapport d'information.

[8] LE GAL Jean, « L'exercice des libertés » in Les droits de l'enfant à l'école, Pour une éducation à la citoyenneté, Editions De Boeck 2008, pp. 91-124.

[9] Pour plus d'informations voir le site de l'ICEM : LE GAL Jean, La participation démocratique à l'école. Le Conseil d'enfants École.

Pour citer cet article

LE GAL Jean : « L'intégration des droits de l'enfant », conférence donnée au colloque « Janusz Korczak et les droits de l’enfant : tout reste à faire », 9 décembre 2009, Association frse J. Korczak (AFJK), 11 p. [en ligne sur korczak.fr]

https://korczak.fr © Ass. Frse J. Korczak (AFJK), Paris
(Mis en ligne le 18 décembre 2009 ; revu le 18/12/09)