Logo AFJK

Association Française Janusz Korczak (AFJK)

« Pédagogie Korczak, pédagogies sociales et pédagogies de l’autorité », par Laurent Ott

Laurent Ott, nov. 2007

Laurent Ott est pédagogue, chercheur, philosophe social. Fondateur de l'Association Intermèdes-Robinson à Longjumeau qui redonne du sens à la vie de quartier en soutenant les relations adultes/enfants, la solidarité et la parentalité, il est aussi l'auteur d'ouvrages de référence consacrés à l'enfance et en particulier à la solitude de l'enfant dans la société moderne (voir sa bibliographie en bas de page).

Résumé

Partant du constat de la régression des institutions accueillant les enfants qui se montrent de plus en plus incapables de se mettre au service des enfants qu’elles sont pourtant supposées aider, et questionnant ce dévoiement de leur mission, Laurent Ott analyse les limites des différentes approches pédagogiques sous-jacentes, n’hésitant pas à remettre en question les dites « nouvelles ». Il témoigne que les approches de Korczak et de Freinet, plus proches qu’on ne le pense dans leur vision de l’enfance, vont bien plus loin que celles-ci dans l’exercice des responsabilités éducatives des professionnels et de la société, entre autre en reconnaissant les apports spécifiques des enfants et en les autorisant à s’impliquer et à « refaire le monde ». Aujourd’hui s’occuper (vraiment) des enfants exige de développer des pratiques de pédagogie sociale. Le texte ci-dessous est un résumé de cette conférence inspirée, particulièrement enlevée.

C’est anecdotique, mais on rappellera pour information que Janusz Korczak participait comme enseignant au célèbre Studium polonais créé par Helena Radlinska, la sœur de Ludwik Rajchman (fondateur de l’OMS et de l’UNICEF, contemporain de Korczak), qui offrait une formation permanente poussée et très prisée aux professionnels de tous horizons entre 1925 et 1944, et dont la notoriété a véritablement fondé la pédagogie sociale en Pologne. La pédagogie sociale initiée par Laurent Ott aujourd'hui n'a certes rien d'académique mais on peut dire qu'elle mobilise les métiers de l'éducation et le sens de la responsabilité de chacun directement au service de la population.

[30/12/09] Mots clés : Association Korczak, colloque Korczak du 9/12/2009, Janusz Korczak, Laurent Ott, richesse enfantine, pédagogie nouvelle, de l'activité, de l'autorité, sociale, convergence Korczak Freinet, pédagogies de Freinet et Korczak, construire avec les enfants eux-mêmes, enfants auteurs, vrai travail.

En reconnaissant une place pleine et entière à l’enfant en tant qu’auteur de son propre point de vue sur le monde, Korczak nous ouvre les portes d’une relation authentique et permet aux adultes de profiter de la formidable richesse de l’énergie enfantine.

 

EN TANT QU'ENSEIGNANT pendant de nombreuses années, je peux témoigner de ce que le changement de statut de l’enfant dans la classe, la pleine reconnaissance de son autorité sur les matières éducatives et scolaires, permet le déploiement d’une activité et d’un travail permanent, vivant et libéré de tout ce qui dans une classe classique est perte de temps.

Korczak, mais également Freinet pour le même motif (le premier « invariant » de Freinet est que « l’enfant est de même nature que l’adulte ») se distinguent nettement de la cohorte des grands pédagogues liés à « la pédagogie nouvelle ».

En effet, si pour la pédagogie traditionnelle, l’enfant est vide, de peu d’intérêt en dehors des objectifs que l’adulte nourrit pour lui, pour la pédagogie nouvelle, l’enfant est considéré comme « plein » et acteur de l’ensemble des activités qui lui sont destinées. La pédagogie nouvelle ouvre ainsi la voie d’une pédagogie de « l’activité » dans laquelle puisent par exemple les « méthodes actives », soutenues par les courants « constructivistes » en psychologie des apprentissages.

Mais cela ne suffit pas ; cela n’est qu’une étape : la pédagogie de l’activité doit céder la place à une évolution supérieure et ultérieure : c’est celle de la pédagogie de l’autorité, non pas au sens où elle serait autoritaire, mais au sens où elle rend les enfants auteurs, de leur point de vue sur le monde et de leur travail.

La pédagogie de l’autorité va bien plus loin qu’une pédagogie de l’activité ; en effet, les pédagogies nouvelles ne sont toutes imprégnées des postulats rousseauistes : l’enfant n’apprendra certes pas dans un face à face stérile avec un adulte dominateur, mais il apprendra par le biais de l’aménagement de l’environnement. Tout le travail de l‘éducateur dans cette perspective est d’aménager un milieu favorable aux apprentissages, de construire des médiations qui y mènent. Cela est certes plus subtile et respectueux des compétences des enfants, mais cela n’est toujours pas assez démocratique.

Korczak comme Freinet nous invitent à aller encore plus loin : cet environnement, il faut le construire avec les enfants eux-mêmes en faisant appel à leur capacité à être auteurs et progressivement responsables des modes de vie dans un collectif ouvert et épanouissant ; c’est Korczak qui transforme un orphelinat en « République », c’est Freinet qui bâtit l’école de Vence avec les enfants eux-mêmes (et notamment les enfants réfugiés républicains espagnols, dont il ne comprend pas la langue, mais avec qui il s’entend sur le chantier et par la vie de tous les jours).

 

EN PÉDAGOGIE SOCIALE, on passe ainsi de l’activité à l’autorité découverte, mise au service des autres, partagée ; c’est sans démagogie : l’adulte est de même nature chez Freinet, mais il reste « le grand camarade », celui qui par nature a plus de devoirs que les petits. Chez Korczak, l’adulte doit prendre sur lui, faire le chemin qui le mène vers la compréhension de la langue de l’enfant.

Ces lignes de convergence entre les pensées et les pédagogies de Freinet et Korczak ne s’arrêtent pas là : leur pédagogie est sociale, ouverte sur la réalité de la société ; aucun des deux ne cherche à établir une communauté idéale loin des hommes. Korczak reste proche de la rue à laquelle il a consacré son premier écrit de fiction.

Freinet, plus rural qu’urbain, ouvre son école aux réalités sociales de son temps : les migrations, les exils, et pour ne pas s’enfermer dans quelque bulle que ce soit, il généralise la correspondance, les échanges…

Enfin leur pédagogie n’est pas une pédagogie de l’activité mais du VRAI travail. Le travail est essentiel : Korczak et Freinet sont d’accord sur un postulat fondamental : il n’y a pas de hiérarchie dans le travail, il n’existe pas de tâches plus méprisables ou inférieures. Tout travail est honorable, même le minuscule, même celui du tout-petit.

Par le travail l’enfant acquiert une place reconnue dans la collectivité ; il mérite le respect ; il peut depuis ce travail parler avec autorité y compris vis-à-vis des adultes.

En pédagogie sociale, si c’est son travail un petit peut faire la leçon à un grand. On abolit ainsi la violence de l’ordre des choses, la dictature et le mépris.

Laurent Ott, 9 décembre 2009,
Conférence au colloque de l'Association Française Janusz Korczak,
Bibliothèque Polonaise de Paris
E-mail : laurent.ott [[at]] orange.fr

 

Bibliographie de l'auteur

Pour citer cet article

OTT Laurent : « Pédagogie Korczak, pédagogies sociales et pédagogies de l’autorité », conférence donnée au colloque « Janusz Korczak et les droits de l’enfant : tout reste à faire », 9 décembre 2009, Association frse J. Korczak (AFJK), résumé, 2 p. [en ligne sur korczak.fr]

https://korczak.fr © Ass. Frse J. Korczak (AFJK), Paris
(Mis en ligne le 29 décembre 2009 ; revu le 13/01/10)