Contribution à l’étude L’Éducation en Pologne, BIE, Genève, 1931 © AFJK
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Bibliographie française des inédits
Cet article est tiré d’une publication de 1931 du Bureau International d’Éducation (BIE) à Genève, intitulée L’Éducation en Pologne, éditée dans le cadre d’une série d’études sur l’éducation nouvelle dans différents pays, dans laquelle s’est exprimée Maria Falska, la directrice de Notre Maison, le second orphelinat korczakien [BIE, op. cit. p. 198-203].
La communication de Mlle Majkowska nous aide à recontextualiser l’autogestion ou la cogestion caractéristique de la pédagogie korczakienne. Elle témoigne du développement à l’époque, en Pologne particulièrement, des dispositifs de self-government (autogestion éducative), qui étaient promus et institués par le Ministère de l’Instruction publique en tant que moyens modernes « d’éducation morale » (au sens d’aujourd’hui de l’éducation civique). Son article révèle que les parlements et les « tribunaux » d’enfants (dispositif autogéré de gestion des conflits) fonctionnaient dans la plupart des écoles, du primaire aux écoles normales.
Dans le contexte politique, économique et social du XXIe siècle et devant les difficultés actuelles du monde de l’éducation, il donne à réfléchir sur les possibilités pédagogiques d’intégration dans le système scolaire des droits actifs des enfants définis par la Convention internationale des droits de l’enfant (articles 12 -17).
« De nouvelles formes de vie exigent de nouveaux citoyens. Autrefois, la jeunesse du pays a appris à se battre, et s’il le fallait, à mourir héroïquement pour la libération de sa patrie. Maintenant, il lui faut apprendre à vivre en accomplissant un travail productif pour son pays. L’esprit de notre temps exige que l’homme soit élevé selon les principes de la démocratie, qu’il soit éclairé au point de vue social, et convenablement préparé à sa tâche de citoyen. »
En 1920, la réponse du gouvernement de la République de Pologne fut de développer les méthodes de pédagogie active et d’encourager l’expression et la participation des enfants à tous les niveaux de décisions les concernant. En 2009, devant les problèmes socio-éducatifs et de violence actuels, et compte tenu des remontrances faites à la France par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU pour son manque de conviction à respecter ses engagements à répandre et à faire appliquer les droits actifs des enfants, quelle sera la réponse du gouvernement de la France ? Et que feront les enseignants et les éducateurs ?
L'École n’a pas seulement pour fonction d’instruire, mais aussi de former le caractère des élèves, et, depuis un grand nombre d’années, les écoles polonaises se sont inspirées de ce principe.
Pendant la période de sujétion politique, l’éducation morale dans les écoles polonaises, là où il en existait, a consisté essentiellement à inculquer des sentiments patriotiques, à fortifier la conscience nationale, et à engager la lutte contre les efforts tentés par les puissances qui se partageaient la Pologne pour dénationaliser le pays. L’école là, où elle pouvait le faire, a travaillé dans ce sens en collaboration étroite avec le foyer[1].
On vit alors surgir spontanément des organisations, formées par les écoliers, et dont l’objet était de leur permettre de s’instruire eux-mêmes, de se familiariser avec l’Histoire et les traditions culturelles de leur pays natal, ou de réaliser un front unique contre les autorités scolaires des puissances occupantes[2]. Ces organisations se sont constituées tout d’abord dans les régions placées sous la domination russe[3], et elles ont fait preuve d’une force et d’une solidarité exceptionnelles.
L’aspect moral de l’éducation n’a rien perdu de son importance après la guerre [de 1914-1918], lorsque la restauration de la liberté eut créé des conditions nouvelles ; au contraire, sa signification n’a fait que s’accroître.
De nouvelles formes de vie exigent de nouveaux citoyens. Autrefois, la jeunesse du pays a appris à se battre, et s’il le fallait, à mourir héroïquement pour la libération de sa patrie. Maintenant, il lui faut apprendre à vivre en accomplissant un travail productif pour son pays. L’esprit de notre temps exige que l’homme soit élevé selon les principes de la démocratie, qu’il soit éclairé au point de vue social, et convenablement préparé à sa tâche de citoyen.
L’école considérée en tant que collectivité est le centre où l’enfant apprend à vivre comme membre d’une communauté, acquiert le sens de ses droits et de ses responsabilités, s’habitue à respecter les règles qui assurent le maintien de l’ordre dans la vie commune, devient maître dans l’art d’établir des relations avec les autres hommes, et enfin peut aussi apprendre à connaître ses obligations futures de citoyen.
L’école est une communauté, et, dans une communauté, la vie doit être organisée si l’on veut éviter l’anarchie. Ces exigences de la vie moderne ont provoqué la création d’une puissante organisation, qui a pris sa place dans le système scolaire polonais sous le nom de « self-government » des élèves.
Cette organisation, importée de l’Extrême-Occident[4], s’est développée en Pologne d’une manière tout à fait particulière, en s’adaptant à nos besoins et à notre caractère rational. Elle s’est étendue avec une rapidité exceptionnelle, a été introduite dans des écoles de toutes catégories, primaires, secondaires et professionnelles, ainsi que dans les écoles normales[5], et cette croissance rapide montre combien cette institution répond aux besoins effectifs de la vie scolaire du pays.
L’une des sections de l’Exposition Nationale Polonaise de Poznan concernait les méthodes d’éducation morale des enfants, et, à ce propos, les écoles ont envoyé tout un stock de matériel, sous la forme de tableaux et de rapports. On s’est livré, sur la base de ce matériel, à certaines généralisations, touchant l’origine, l’étendue des activités, les méthodes de travail et le mode d’organisation des institutions de « self-government » des élèves dans chaque partie de la République Polonaise.
La création des organisations de self-government des élèves a eu lieu dans des conditions diverses, dans les différentes écoles ; dans certaines d’entre elles, elles sont apparues immédiatement comme de vastes organisations englobant la totalité des activités multiples de la vie scolaire, mais, dans la plupart des cas, elles ont commencé par constituer des organisations réduites qui ont peu à peu étendu le domaine de leur activité. Fréquemment, surtout dans les écoles normales, le noyau de ces organisations a été une coopérative d’élèves, autour de laquelle, graduellement, se sont formées diverses sociétés d’ordre sportif, social, ou d’instruction personnelle, et finalement toutes ces organisations se sont réunies en une seule institution sous le nom de « self-government » des élèves.
Nous indiquons ci-dessous l’évolution graduelle de la vie des élèves d’une école primaire de Varsovie :
Durant l’année scolaire 1924-1925, on a constitué dans l’école une société de travaux manuels. Au cours de l’année suivante, cette société, sans rien abandonner de ses fonctions primitives, a ouvert une coopérative et fondé un club artistique et social. En 1926-1927, on a ouvert une bibliothèque administrée par les enfants eux-mêmes et créé un poste de la Ligue nationale de Défense aérienne. En 1927-1928 toutes ces institutions ont été fondues en une seule organisation, appelée « self-government des élèves », qui comprend :
- Une société de secours mutuels ;
- Un club de sports ;
- Une société de travaux manuels ;
- Un club artistique et social ;
- Un poste de la Croix Rouge Polonaise ;
- Un poste de la Ligue Nationale de défense aérienne ;
- Une coopérative ;
- Une bibliothèque.
On peut voir parce que nous avons exposé plus haut que le champ d’activité des organisations de « self-government » des élèves s’accroît constamment, au fur et à mesure que se développe la vie intellectuelle et affective des enfants. Ce champ d’activité est d’autant plus vaste que leur idéal est plus élevé, le sentiment de leurs devoirs envers la communauté plus profond et leurs besoins culturels plus nombreux. Telle est vraisemblablement la raison pour laquelle les organisations de « self-government » ont atteint leur plus haut degré de développement dans les écoles normales, dont les élèves sont beaucoup plus avancés au point de vue social que ceux des écoles primaires et secondaires.
Les institutions de « self-government » ont pour objet :
- De fondre tous les élèves d’une école donnée en une communauté compacte et disciplinée ;
- D’inspirer aux enfants un noble sentiment de solidarité et de camaraderie ;
- De créer un esprit collectif de bon aloi et d’élever l’idéal moral des enfants ;
- De développer dans chaque élève le sens de la responsabilité, non seulement envers lui-même, mais également envers tous ses camarades d’école, c’est-à-dire le sens de l’honneur de l’école ;
- De stimuler l’initiative et les facultés créatrices des individus et des organismes collectifs.
L’organisation intérieure peut être, à grands traits, décrite comme suit :
Chaque élève d’une école donnée est membre de l’organisation de « self-government », à l’exception des élèves des classes inférieures des écoles primaires et secondaires.
Chaque classe constitue un organisme autonome, qui élit parmi ses membres un « Conseil » ou « Comité » de classe comprenant trois membres, un président ou capitaine de classe, un secrétaire et un trésorier.
Ce Conseil est responsable des activités de la classe.
Les divers Conseils de classe élisent parmi leurs membres un Conseil central, qui coordonne l’activité des Conseils de classe et qui est responsable de toute l’activité de l’organisation de « self-government ».
L’autorité suprême de l’institution de « self-government » est son « Parlement » ou assemblée générale de tous les membres.
Les réunions de classe ont lieu d’ordinaire chaque semaine. L’ordre du jour de ces séances comprend la lecture d’articles et de réponses à des questionnaires, des discussions et enfin l’expédition des affaires courantes.
Les réunions du Conseil central ont lieu moins fréquemment, d’ordinaire une fois par mois, et les réunions générales sont convoquées quelquefois seulement au cours de l’année.
L’activité de ces organismes tend, d’une part, à développer la personnalité et à établir certains principes de morale stricts et permanents, et, d’autre part, à créer un esprit de corps parmi les élèves et à les préparer à leur tâche future de citoyen.
Les diverses formes d’activité du « self-government » comprennent toutes les institutions dont l’objet est de réglementer, d’améliorer et de rendre agréable la vie de la communauté. Ce sont les suivantes :
- Aide mutuelle :
- a. Matérielle (repas scolaires, vêtements, assistance médicale, prêts). - N. B. : Dans ce domaine, les organismes de « self-government » collaborent souvent étroitement avec les associations de parents.
- b. Aide mutuelle dans l’étude.
- c. Aide morale (on s’occupe spécialement des camarades d’école qui ont été l’objet d’un blâme).
- Tribunal d’enfants, dont l’objet est d’éclaircir et de régler tous les malentendus surgissant dans les relations mutuelles des élèves et également entre ces derniers et les autorités scolaires. - N. B. : Ce tribunal n’existe pas dans beaucoup d’écoles en tant qu’institution permanente, et le fonctionnement des institutions de « self-government » ne paraît pas s’en être ressenti.
- Coopérative, qui fournit aux élèves les articles essentiels ; les enfants achètent les marchandises aux négociants en gros, établissent les prix de détail, gèrent le magasin, et s’acquittent eux-mêmes de la comptabilité. - Ce contact direct avec la vie pratique permet aux enfants de se rendre compte de l’importance de l’idée de coopération. Beaucoup d’écoles possèdent, en dehors de leur coopérative, leurs propres ateliers, dont les bénéfices sont utilisés pour les besoins des élèves eux-mêmes, d’ordinaire pour des fins culturelles ou pour des divertissements (excursions), pour l’achat d’articles de sport, etc.
- Les magazines scolaires décrivent la vie des enfants. Dans ces revues, les élèves peuvent discuter les questions qui les intéressent plus spécialement, exercer leur imagination, et publier les productions de leur talent littéraire naissant. Elles leur permettent surtout de s’exprimer eux-mêmes ; et c’est là un besoin particulièrement intense à certains âges.
- Les bibliothèques et les salles de lecture sont, dans beaucoup de cas, administrées par les enfants sous la direction des maîtres. Cette forme d’activité est une de celles que les enfants préfèrent.
- Les Comités de l’économie ménagère et de l’ordre intérieur ont pour objet de maintenir l’ordre et la propreté, de veiller à la présentation esthétique des salles de classe et à la conservation de tout le mobilier scolaire.
- Les Comités de l’Hygiène et des Sports s’occupent de l’hygiène scolaire, personnelle et collective, organisent des tournois athlétiques, etc.
- Les Comités artistiques et sociaux organisent des représentations théâtrales, des réunions sociales, des excursions, etc.
Enfin, les institutions de « self-government » créent des cercles d’instruction pratique personnelle, en dehors des sections de service social, comme, par exemple, les postes de la Croix Rouge, les postes de la Ligue Nationale de défense aérienne, les services pour enfants abandonnés, anciens soldats mutilés, etc.
Certains des organismes de « self-government » fonctionnent d’une manière permanente (coopérative. aide mutuelle, comités de l’économie ménagère et de l’ordre intérieur, etc.), tandis que d’autres fonctionnent de temps en temps seulement (section des divertissements, comité des recettes non-permanentes, etc.).
La tâche des organismes de « self-government » est très variée et leur champ d’action peut être plus ou moins étendu, selon l’initiative et l’activité des enfants.
Le principe essentiel du « self-government » scolaire est que toute l’activité de ce système doit avoir pour base le travail indépendant des élèves.
L’objet du « self-government » est de concentrer les efforts pour obtenir un rendement meilleur et plus effectif, d’apprendre aux élèves à discerner les besoins et les insuffisances du milieu qui les entoure, à essayer de remédier par eux-mêmes à ces défauts, à travailler en vue d’un résultat réel et non pas d’un vain éloge. Tout membre de l’organisation de « self-government » scolaire, c’est-à-dire tout élève, est tenu de prendre une part active à l’œuvre de son institution.
Le rôle du personnel enseignant est de s’assurer que le travail est réparti d’une façon aussi uniforme que possible, afin de ne pas surcharger les élèves les plus actifs et les plus dévoués, et d’inciter les plus passifs, timides ou indolents, à prendre leur part de la tâche, en faisant appel à leur amour-propre et en leur indiquant dans quel domaine ils peuvent le mieux tirer parti de leurs facultés.
Ce système exige beaucoup d’attention et de soins de la part du personnel qui, bien que relégué à l’arrière-plan, n’en doit pas moins exercer une influence discrète, mais puissante, sur l’organisation des enfants, diriger dans la bonne voie leur enthousiasme et leurs énergies, surveiller l’exécution de leur travail, tempérer l’ardeur de certains des élèves, en encourager d’autres, et empêcher les conflits indésirables.
Le maître qui répond à cet idéal doit être un bon psychologue et un savant organisateur, mais il doit surtout comprendre et aimer sincèrement les enfants.
Mlle Majkowska, 1930.
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[1] Problème de traduction mot à mot du polonais en français. On peut sans doute lire : « famille ».
[2] La Pologne a été militairement occupée pendant 150 ans, de 1772 à 1918, par ses trois puissants voisins (Russie, Prusse, Autriche), cf. Les trois partitions de la Pologne.
[3] Tout l’Est du pays (voir carte, png 241 Ko), plus la région de Varsovie annexée en 1815 (Royaume du Congrès)..
[4] Il serait intéressant d’en savoir plus : possible sujet de recherche [Note du rédacteur].
[5] Établissements d'enseignement supérieur chargés de la formation des enseignants.
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Source
Titre original : « Le self-government des écoliers polonais », Mlle Majkowska, dans la revue L’Éducation en Pologne, Bureau International d’Éducation, Genève, 1931, 264 p., p. 64-72 (chap. III : « L’éducation morale »).
Titre original : « Le self-government des écoliers polonais », Mlle Majkowska, dans la revue L’Éducation en Pologne, (série de monographies nationales), Bureau International d’Éducation, Genève, 1931, In-8°, 264 p., tableaux, planches, p. 64-72 (chap. III : « L’éducation morale »).
Mention spéciale : Le texte reproduit ici provient d’un exemplaire de nos propres sources en Pologne. Les recherches en cours pour identifier Mlle Majkowska n’ayant pas encore abouti, nous espérons que la mise en ligne de son article permettra de nous aider à retrouver ses ayants droits. Tout renseignement utile sera le bienvenu. (© AFJK, tous droits réservés).
L'ouvrage L’Éducation en Pologne réunit de nombreux autres textes intéressants qui témoignent du développement avancé des pédagogies actives et des méthodes de self-government, à l’époque, dans le contexte d’un pays engagé dans sa reconstruction depuis une dizaine d’années seulement (indépendance recouvrée en 1918). Il peut être consulté à la Bibliothèque nationale de France, sur le site Tolbiac [Notice n° : FRBNF33867804 - Côte : 8-R-42912 (2)].
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Sur le même thème
Falska, Maria : « Nasz Dom (Notre Maison), Établissement éducatif pour orphelins » (1930), [dans] L’éducation en Pologne, Bureau International d’Éducation, p. 198-203 [en ligne sur korczak.fr]
Korczak, Janusz : « Le Parlement et le Tribunal » (Sejm i Sąd. 1921), trad. Jacek Rzewuski (2000), inédit Association Frse J. Korczak, 5 p. [lire en ligne sur korczak.fr]
Pour citer cet article
Majkowska, (prénom inconnu) : « Le self-government des écoliers polonais », [dans] L’éducation en Pologne, Bureau International d’Éducation, Genève, 1931, p. 64-72 [en ligne sur korczak.fr]