Le Centre de documentation et d’études
KORCZAKIANUM, à Varsovie
Par Marta Ciesielska
Directrice de KORCZAKIANUM (Pologne)

 

En plus de ses fonctions de direction du Centre de documentation international des archives de Janusz Korczak, l’auteur est la Secrétaire de l’édition des Œuvres complètes de Janusz, Korczak Dziela. Elle était l’invitée d'honneur de l’association, avec son homologue israélienne, à notre colloque « Janusz Korczak et la réforme de l’éducation » co-organisé avec l’Université Paris 8 Saint-Denis, du 23 au 27 juin 2003.
Dans cette intervention, Marta Ciesielska retrace l’histoire de la constitution des archives sur Korczak et décrit les conditions de la recherche autour de son œuvre, aujourd'hui en Pologne.

 

 

« Celui qui réunit les faits, qui collectionne les documents, acquiert de la matière pour une discussion objective, libre de réflexes émotionnels […] Rien sans fondement. […] Les matériaux réunis peuvent attendre tranquillement le contrôle et l’étude. Nous souhaitons enrichir notre collection indépendamment du regard que posera sur elle l’œil du chercheur armé de méthodes scientifiques. Il s’agit de matériaux psychologiques, sociologiques, ethnographiques et linguistiques » écrivait Korczak[1] en énumérant les documents rassemblés par lui au cours des premières années de fonctionnement de Notre Maison, le second établissement, après la Maison des Orphelins, où il mettait en œuvre ses concepts éducatifs.

La documentation en question, fruit unique en son genre d’un travail d’étude sur le développement de l’enfant et de sa vie sociale, était composée à l’époque de : près de 200 cahiers du journal interne et des communiqués, environ 230 protocoles des réunions du Conseil d’Autogestion, 27 500 dépositions au tribunal des enfants, 14 100 remerciements (pour petits services, aide, actes de « bienveillance »), près de 150 cahiers de récits et de souvenirs écrits par les enfants, des centaines de diagrammes retraçant le poids et la taille des enfants au cours des années… La documentation complète réunie pendant trente ans de fonctionnement de la Maison des Orphelins (1912-1942) et des 23 ans de Nasz Dom (1919-1942) était infiniment plus riche ! En plus de ce que possédaient ces institutions, il faut compter les propres notes de Korczak dans ses mémoires du ghetto, il mentionne par exemple l’existence de 34 cahiers de notes sur l’observation du sommeil des enfants, ses documents personnels, sa correspondance, les brouillons de ses écrits littéraires (plus de vingt ouvrages, environ 10 000 articles), des esquisses non terminées, projets de travaux, divers objets personnels…

La majeure partie de ces documents inestimables — témoins d’une vie, fut détruite pendant la seconde guerre mondiale.

 

Au lendemain de la guerre, tous ceux qui avaient eu la chance de côtoyer Korczak, que ce soient ses jeunes collaborateurs ou ses pupilles, eurent un seul et même objectif : réunir, retrouver des documents relatifs au Vieux Docteur et en créer de nouveaux avec les témoignages recueillis. Les premières tentatives dans ce sens ont été entreprises en 1946-1948 par le Comité à la Mémoire de Janusz Korczak dont l’activité fut suspendue à l’époque stalinienne. Lors du « dégel » politique survenu en 1956, le Comité s’est reconstitué et a mis en place la Commission des Archives (en 1957). C’est alors seulement que ses membres ont entrepris, à titre bénévole, un véritable travail de recherche de documents korczakiens, photos, publications, mémoires. C’est à la même époque que sont réalisés les premiers travaux bibliographiques relatifs à l’œuvre littéraire de Korczak

Le sort des Archives est à l’image du destin du mouvement korczakien qui se développe à travers le monde et qui n’est pas exempt des pressions politiques. D’où l’arrêt des travaux dans les années 1968-1969 lorsque des adeptes de Korczak les plus actifs décident d’émigrer et retirèrent les Archives des locaux de la Société des Amis des enfants à laquelle le Comité Korczak était affilié. Les archives sont alors placées en 1957 dans les locaux de l’ancienne Maison des Orphelins qui avait été renommée (littéralement) « L’orphelinat n° 2 Janusz Korczak », au 6 rue Jaktorowska (anciennement le 92 rue Krochmalna).

Face à l’intérêt croissant pour le personnage de Korczak et pour son œuvre, après la reconnaissance apportée par le Prix de la Paix décerné à titre posthume par les éditeurs allemands en 1972[2], et à l’approche du centenaire de sa naissance en 1977, l’Institut d’Études pédagogiques du Ministère de l’éducation créa un Département Korczak où furent transférés les documents réunis jusque-là.

Pendant les quinze ans qui suivirent, ce département devint un important centre d’activités scientifiques autour de Korczak.[3] Tout en s’activant à poursuivre les recherches, il devint un centre de documentation ouvert au public et un travail d’édition commença à être entrepris.

En 1993, [du fait des restrictions budgétaires et du départ à la retraite du Professeur Lewin, ndt], le département dut réintégrer les murs de l’ancienne Maison des Orphelins et il fut renommé : Centre de documentation et d’archives Korczakianum.

Depuis 2001, le Centre a été rattaché au Musée Historique de la ville de Varsovie dont il est un département.

Les principaux axes de travail du Centre sont les suivants :

— Recherche et collection de toute information et matériaux concernant la vie, ‘activité et l’œuvre de Korczak — Autrement dit : sa biographie, son héritage littéraire (œuvres publiées et inédites), l’histoire et les activités des institutions mises en place par lui (Maison des Orphelins, Notre Maison, la « Petite revue » Maly Przeglad), tous travaux polonais et étrangers sur Korczak et son œuvre.

— Participation aux travaux d’édition de l’œuvre de Korczak et autres documents, en premier lieu la réalisation de l’édition de ses Œuvres complètes, Korczak Dziela. Sur 14 volumes à paraître depuis 1992, ont pu être édités à ce jour les volumes I à X et le volume XII. Les écrits des collaboratrices les plus proches de Korczak – Stefania Wilczynska et Maryna Falska, seront publiés dans une série à, part, intitulée : Autour de Korczak : Questions – Individus – Documents.

— Consultations, popularisation de l’œuvre de Korczak, réalisation d’une exposition permanente consacrée à, l’histoire de la Maison des Orphelins, toute aide dans les travaux touchant à la thématique korczakienne.

— Coopération avec les institutions et organisations qui ont pour vocation la préservation de l’héritage de Korczak en Pologne et dans le monde (par exemple avec les Archives Korczak en Israël et dans différents pays, comme en France).

 

À ce point de son intervention, Marta Ciesielska ajoute [transcription orale] :

Les Archives polonaises entretiennent avec l’Association française des relations anciennes et productives, qui remontent à l’époque de Mme Lecalot[4] et à la réalisation en commun en 1982 d’une importante exposition produite par les chercheurs français du CNDP, le Centre national de la Documentation Pédagogique. Plus récemment, nous avons été très satisfaits de la coopération que vous avez pu nous apporter pour compléter les recherches sur le voyage de Janusz Korczak à Paris en 1910-1911. Dans ses articles médicaux de l’époque, Korczak faisait très largement référence aux travaux des médecins et scientifiques français. Vos propres recherches à Paris nous ont permis d’annoter et de documenter la plupart de ces références et de mener à bien l’édition du tome IV de Korczak Dziela, Articles médicaux (1900-1912)[5].

Quelques jours avant sa mort, Korczak nota : « Ma vie fut très difficile mais intéressante. C’est cette vie que j’avais demandée à Dieu de me donner quand j’étais jeune : “Accorde-moi, Dieu, une vie dure mais belle, riche et inspirée” ». Et c’est cette vie qui fut son lot. Prenons la peine de nous y intéresser, de l’étudier pour pouvoir rejeter les stéréotypes et les schémas conjoncturels, pour y trouver source d’inspiration et références — Même si à ce jour, la vie et l’œuvre de Korczak n’ont toujours pas été complètement déchiffrés et appréciés à leur juste valeur.

Marta Ciesielska,
Varsovie et Paris, le 25 juin 2003

 

 

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Notes

[1] Préface de Janusz Korczak à l’ouvrage de Maryna Rogowska-Falska : Zaklad Wychowarwczy « Nasz Dom » (« Notre Maison » Établissement d’éducation), Varsovie, 1928, traduit du polonais par Jacek Rzewuski (inédit).

[2] L’année de sa création, le « Prix de la Paix » de la Foire internationale des Libraires de Francfort (Allemagne), fut décerné à l’ouvrage de Janusz Korczak Le roi Mathias 1er qui venait d’être traduit en allemand.

[3] Ce département Korczak du Ministère de l’éducation a été créé et dirigé par le professeur Aleksander Lewin, qui consacra toute la fin de sa carrière et sa retraite à l’étude de l’œuvre de Janusz Korczak. Personnalité éminente du mouvement Korczak international, présent à tous les colloques, auteur de nombreux ouvrages dont une somme tardive relatant son expérience d’éducateur de Janusz Korczak avant la guerre, il est décédé en septembre 2002 à Varsovie (note de B.L.).

[4] Présidente de l’association de 1980 à 1990, après le colloque de l’UNESCO et au moment de la création de l’association Korczak internationale à Varsovie en 1979, Mme Lecalot a été particulièrement active sur le plan international, comme en témoigne le cahier de condoléances ouvert à son décès, en juillet 2005.

[5] Marta Ciesielska évoque notre travail de recherches sur le séjour de Korczak à Paris, entrepris, à titre gracieux, à la demande de Korczakianum en 1996. Sans aboutir complètement, cette recherche nous avait amenés à découvrir les bibliothèques et autres lieux fréquentés par Janusz Korczak et à retrouver certaines de ses lectures (il connaissait parfaitement notre langue). Elle avait été réalisée par Bernard L. et Debora Sada dans le cadre du Département des Sciences de l’Éducation de l’Université Paris 8 Saint-Denis, sous la direction du professeur René Lourau, alors président de l’association.

  • Cette recherche, archivée au Centre de documentation de l’AFJK, se présente sous la forme d’un document relié de 200 pages en quatre chapitres : introduction, corpus, sources et annexes, intitulé : Janusz Korczak et les médecins français. Extraits de l’introduction : « Recherches sur le dispositif de santé et sur la naissance de la pédiatrie, sujets d’études identifiés de Janusz Korczak au cours de son séjour à Paris en 1910-1911 ». Résultats obtenus : les 26 auteurs et les 21 ouvrages français cités par Korczak ont pu être identifiés, 32 recherches biographiques et 14 résumés réalisés, 6 informations diverses sur 9 et 9 citations de médecins français par Korczak sur 13 ont pu être recoupées et documentées.
  • Pour autant, faute d’informations suffisantes sur les notes en polonais de Korczak alors non accessibles à leur traduction en français, il n’avait pas été possible d’élucider plus complètement le séjour de six mois de Korczak à Paris (précisément situé entre l’été 1910 et janvier 1911).

https://korczak.fr | https://roi-mathias.fr © Ass. Frse J. Korczak (AFJK), Paris
19 août 2003