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Association Française Janusz Korczak (AFJK)

Code du Tribunal des Pairs
des pupilles de Janusz Korczak

Le « tribunal » des pupilles de Korczak a autorégulé la discipline dans ses deux orphelinats pendant trente ans, de 1912 à 1942. Institué autant pour gérer les conflits que pour soutenir l’éducation des enfants à la paix et à la démocratie, il était un dispositif central du « système » éducatif korczakien. Son succès reposait sur son célèbre « Code », rédigé en 1917-1918 à Kiev[1], le lieu de garnison de son auteur pendant la première guerre mondiale.

Véritable Code civil aux sanctions essentiellement symboliques, écrit avec une finesse d’analyse et un respect exceptionnels des sentiments et des potentialités des enfants, le Code de Korczak est un magnifique monument d’humanité.

 

Rappel du fonctionnement

La Cour est élue chaque semaine. Elle est composée de cinq Juges enfants tirés au sort parmi ceux qui n’ont eu aucune affaire la semaine précédente. Un seul adulte y participe, qui joue le rôle du greffier, sans juger et sans prendre parti.

Une Cour juge une cinquantaine d’affaires en une heure ou deux. Quand il y a plus d’affaires à traiter, on élit d’autres Cours, autant que nécessaires.

Abréviations : « X » désigne l'enfant mis en examen : celui contre qui une plainte a été déposée et « Y » le plaignant, la victime.

Si quelqu'un fait quelque chose de mal, le mieux est de lui pardonner. Car si c'est par ignorance qu'il a mal agi, désormais il n'est plus ignorant. Si c'était sans le faire exprès, il sera plus prudent à l'avenir. S'il a mal agi parce qu'il a de mauvaises habitudes, il va faire un effort. S'il a mal agi parce qu'on l'y a incité, désormais il ne se laissera plus influencer.

Si quelqu'un fait quelque chose de mal, le mieux est de lui pardonner, d'attendre qu'il se corrige.

Toutefois le tribunal doit défendre les silencieux, afin qu'ils ne subissent pas l'injustice de la part des agressifs et des importuns ; le tribunal doit défendre les faibles afin que les forts ne leur fassent pas subir de vexations ; le tribunal doit défendre les consciencieux et les travailleurs, afin que les nonchalants et les fainéants ne les dérangent pas ; le tribunal doit veiller à ce qu'il y ait de l'ordre, car le désordre porte préjudice surtout aux bons, aux silencieux et aux consciencieux.

Le tribunal n'est pas la justice, mais il devrait tendre vers la justice, le tribunal n'est pas la vérité, mais il a soif de vérité.

Les juges peuvent se tromper. Les juges peuvent punir des actes qu'ils commettent eux-mêmes, déclarer mal quelque chose qu'ils font aussi eux-mêmes.

Mais c'est une honte quand un juge prononce sciemment une sentence mensongère.

Le Tribunal ne juge pas l'affaire

  1. Le Tribunal annonce que X a retiré sa plainte, qu'il a pardonné.
  2. Le Tribunal estime que cette affaire ne vaut pas la peine d'être examinée.
  3. Le Tribunal ne sait pas ce qui s'est passé, qui avait raison, et donc il renonce à juger l'affaire.
  4. Le Tribunal est certain que rien de tel ne se reproduira, et renonce donc à juger cette affaire. (Attention : pour cet article, l'accusé doit donner son accord).
  5. Le Tribunal renonce à juger l'affaire, estimant que ces fautes disparaîtront bientôt d'elles-mêmes.
  6. Le Tribunal reporte l'affaire à la semaine suivante, jusqu'à la prochaine séance.
  7. Le Tribunal prend note de l'affaire sans la juger.
  8. Le Tribunal estime l'accusation malhonnête.
  9. Le Tribunal estime l'accusation frappée de nullité.

Le Tribunal autorise - Remercie
Regrette - Donne raison

  1. Le Tribunal voit dans l'acte de X non pas une faute, mais un exemple de courage citoyen (de vaillance, de droiture, de justice, d'élan chevaleresque, de dévouement héroïque, de sincérité, de bonté, de sacrifice, etc.).
  2. Le Tribunal remercie X de l'avoir informé de sa faute.
  3. Le Tribunal prie X de l'excuser de l'avoir dérangé pour rien.
  4. Le Tribunal regrette ce qui s'est passé, cependant il n'en impute pas la faute à X.
  5. Le Tribunal déplore le malheur, la perte, mais il n'en impute pas la faute à X.
  6. Le Tribunal reconnaît que X se plaint à juste titre.
  1. Le Tribunal reconnaît que X a rempli son devoir.
  2. Le Tribunal reconnaît que X avait le droit d'agir ainsi (de parler ainsi).
  3. Le Tribunal estime que X a raison.
  4. Le Tribunal estime que X n'a pas offensé Y.
  5. Le Tribunal estime que X a dit la vérité.
  6. Le Tribunal estime que X n'a rien fait de mal.

Le Tribunal impute la faute à la nécessité,
aux circonstances, à l'accident,
à plusieurs autres, à un autre

  1. Le Tribunal reconnaît que X n'a pas pu faire autrement.
  2. Le Tribunal, imputant la faute aux circonstances, à l'accident, acquitte X pour ce qui s'est passé.
  3. Étant donné que nombreux sont ceux qui font la même chose, il serait injuste de condamner un seul enfant pour ce qu'un grand nombre d'entre eux fait impunément.
  4. Le Tribunal rend responsable Y pour l'acte commis par X.

Le Tribunal propose de pardonner

  1. Le Tribunal estime que Y ne devrait pas se fâcher contre X.
  2. Le Tribunal demande qu'on pardonne à X.
  3. Le Tribunal demande qu'on oublie.

Le Tribunal pardonne,
car il ne voit pas de mauvais dessein,
de mauvaises intentions

  1. Le Tribunal pardonne à X parce qu'il pouvait ne pas savoir, ou ne pas avoir compris qu'il ne faut pas faire ou dire telle chose — que cela ne se fait pas. Le Tribunal espère que X ayant appris, ayant compris, ne commettra plus cet acte, ne prononcera plus ces paroles.
  2. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il n'avait pas tout à fait compris ce qu'il faisait, ce qu'il disait. Le Tribunal espère que X ne recommencera plus.
  3. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il ne pouvait pas savoir que cela se passerait ainsi, il ne l'a pas fait dans cette intention, mais par imprudence, par erreur, par oubli.
  4. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il n'avait pas l'intention de faire de peine à Y ou de l'offenser.
  5. Le Tribunal pardonne à X, parce que c'était une plaisanterie (une blague idiote).

Le Tribunal pardonne,
sur la base de circonstances atténuantes

  1. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il l'a fait (ou dit) dans un moment de colère et qu'il est impulsif.
  2. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il a fait cela par entêtement mais qu'il lutte contre ce défaut.
  3. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il a agi par vanité, orgueil mais qu'il veut se corriger.
  4. Le Tribunal pardonne à X, dans la mesure où étant bagarreur, il lutte avec ce défaut.
  5. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il a agi ainsi par lâcheté, mais qu'il veut être plus courageux.
  6. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il est faible.
  7. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il a agi ainsi parce qu'on le dérangeait.
  8. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il a agi sans réfléchir.

Le Tribunal pardonne,
parce qu'il y a déjà eu punition,
parce qu'il regrette son acte

  1. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il a déjà été puni pour son acte.
  2. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il regrette d'avoir agi ainsi.
  3. Le Tribunal pardonne, parce que la réparation a déjà été faite.

Le Tribunal essaie de pardonner

  1. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il pense que seule la bonté peut le corriger.
  2. Le Tribunal essaie de croire à son innocence.
  3. Le Tribunal pardonne, avec l'espoir que X se corrigera.

Acquittement exceptionnel

  1. Le Tribunal pardonne, reconnaissant que X en avait tellement envie qu'il ne pouvait pas se retenir.
  2. Le Tribunal pardonne, parce que X étant arrivé depuis peu de temps, il ne peut pas encore comprendre notre discipline sans punitions.
  3. Le Tribunal pardonne, parce que X allant bientôt nous quitter, il ne veut pas qu'il parte de chez nous avec de la rancune.
  4. Le Tribunal pardonne à X, parce qu'il estime que la bienveillance et l'indulgence excessives de la part de tout le monde l'ont gâté (le Tribunal avertit X que tous sont égaux devant la loi).
  5. Le Tribunal tient compte de la demande pressante de son frère, de sa sœur, de son ami et pardonne à X.
  6. Le Tribunal pardonne à X, parce que parmi les juges, il y en avait un qui le voulait absolument.
  7. Le Tribunal pardonne à X, parce que X ne veut pas dire ce qui l'a poussé à faire un tel acte mais que s'il le voulait, ce qu'il dirait pourrait l'excuser.

Condamnations

  1. Le Tribunal confirme que X a bien commis l'acte dont il est accusé. Le Tribunal ne pardonne pas.
  1. Le Tribunal constate que X a agi à tort.
  1. Le Tribunal constate que X a mal agi.
  1. Le Tribunal constate que X a très mal agi
  1. Le Tribunal constate que X a très mal agi. Cette sentence doit être publiée dans le journal.
  1. Le Tribunal constate que X a très mal agi, la sentence doit être publiée dans le journal et sur le tableau.
  1. Le Tribunal estime que X a très mal agi ; la sentence doit être publiée dans le journal et sur le tableau, et être communiquée à la famille.
  1. Le Tribunal prive X de ses droits pour une durée d'une semaine et convoque la famille pour un entretien. Il publie la sentence dans le journal.
  1. Le Tribunal recherche un tuteur pour X, lequel doit se présenter dans un délai de deux jours.
  1. Le Tribunal renvoie X de l'établissement.

Suppléments aux sentences (Attendus)

  1. Le Tribunal remercie pour la sincérité de la déposition.
  2. Le Tribunal s'étonne que X n'ait pas lui-même été informé de ce fait.
  3. Le Tribunal demande que ce fait ne se renouvelle plus.
  4. Le Tribunal fait une demande au Conseil (Juridique) pour qu'à l'avenir il prenne les mesures nécessaires pour éviter ce fait.
  5. Le Tribunal demande au Conseil (Juridique) qu'il permette qu'on n'exécute pas la sentence.
  6. Le Tribunal exprime la crainte que X ne devienne en grandissant un homme nuisible.
  7. Le Tribunal exprime l'espoir que X devienne en grandissant un homme courageux.
  8. À inscrire sur le Tableau de la vexation, de l'inquiétude, de l'esprit de détérioration, des négligences.
  9. Informer, avertir la famille.

Janusz Korczak, 1918
Traduit parJacek Rzewuski © Association Frse J. Korczak 2000
(31/07/2009, révision n° 3)

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Ce document a été publié pour la première fois dans une brochure intitulée « Les dispositifs de Janusz Korczak à l’école d’aujourd’hui », par Bernard Jabin et Bernard Lathuillère, Ministère de l’Éducation Nationale et autres, Direction de l’Enseignement scolaire et Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, Paris, décembre 2000, 60 p., pp. 34-36. — Il a ensuite (révision n° 2) été édité sous la forme d’un kakémono pour la grande exposition de l’Association Korczak, en 2002. — La recherche initiaitle est toujours en cours (cf. aussi ci-dessous).

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Notes de l'article

[1] Il existe plusieurs versions du Code. La première à avoir été traduite en français est celle de Kiev, publié par Korczak e, 1919 dans Comment aimer un enfant (pp. 307-312, Laffont, 2006). Celle qui est présentée ici, plus complète, est extraite du livre de Maria Falska de 1928 (cf. Sources) ; la seconde, présentée ici, a été publiée en 1928 par Maria Falska, la directrice du second établissement éducatif, dans son livre inédit en français Nasz Dom (Notre Maison), (cf. Korczak Dziela, t. VII, note philologique, p. 488).

Il en existe au moins une troisième, révélée en 2007 par la nouvelle édition polonaise de l'ouvrage de Maria Falska enrichie de nombreux textes inédits  (cf. ses références ci-dessous). Comme le précisent son titre complété et son introduction révisée par Korczak, il s'agit d'une version spécialement adaptée au second orphelinat (« Notre Maison ») . Sa traduction permettrait une utile comparaison entre les deux établissements éducatifs korczakiens.

Nouveau« Kodeks Sądu Koleżeńskiego w Naszym Domu w Pruskowie  » (Code du tribunal des pairs à Nasz Dom à Pruskow), introduction par Korczak (différente), dans la revue Au soleil (W słońcu), n° 5, 15 mars 1921, reproduit dans : op. cit. Nasz Dom… 2007, p. 149-152.

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Source

Titre original : « Kodeks Sądu Koleżeńskiego » (Code du tribunal des pairs. 1918), in Zakład Wychowawczy « Nasz Dom » szkic informacyjny, Maria Rogowska-Falska, Nakładem [édité par] Towarzystwa « Nasz Dom », Warszawa, 1928, 100 p. ; réédité dans Falska, Maria : Nasz Dom, zrozumieć porozumieć się poznać, textes réunis et introduits par Marta Ciesielska et Barbara Puszkin, Korczakianum, avec cahier photo XXIV p., EZOP, coll. « Tematy Ludzie dokumenty », Warszawa, 2007, 402 p., p. 54-57, ISBN 978-83-88477-64-5.

Pour citer cet article

Korczak, Janusz : « Code du tribunal des pairs » (1918), trad. Jacek Rzewuski, Association Frse J. Korczak), 4 p. [en ligne sur korczak.fr]

https://korczak.fr | https://roi-mathias.fr © Ass. Frse J. Korczak (AFJK), Paris
(Page créée le 22 février 2002 - Révisée le 19/08/2009)